Tombeau d'Yves Boisvert

Publié le par la freniere

Troisième tombeau, celui d’Yves Boisvert (62 ans), un poète québécois dont j’ai coédité naguère deux livres, Les Amateurs de sentiments (Écrits des Forges) et La Balance du vent (Le Noroît). En 1990, lors du Festival International à Trois-Rivières, il nous avait quasi kidnappés pour une visite de la ville de Québec et ses recoins ignorés des touristes, un après-midi dans une famille d’indiens Abénakis à Odanak, une soirée dans une «cabane» perdue dans la forêt d’un lac dont nous pûmes déguster les truites en compagnie de Francis Simard, un des membres du commando du FLQ qui participa à l’enlèvement et à la mort en 1970 du ministre Pierre Laporte… sans oublier, c’est la première fois que j’assistais à un tel spectacle, sa lecture-performance, entouré de ses complices poètes-rockeurs Jean-Paul Daoust et Serge Mongrain, accompagnée par des musiciens hard-rock devant quelque mille spectateurs ! Ces moments-là reviennent à la mémoire tandis que je feuillette son luxueux livre, La Pensée niaiseuse (éditions Le Sabord), dans lequel se trouvent condensées les convictions ru rebelle «chaouin» et du militant politique intransigeant. Dans ce livre, tout de tendresse latente pour les humiliés et offensés mais aussi parodie au scalpel et massacre à la tronçonneuse, il pourfend sans concession aucune «cette pensée unitariste de stricte observance» socio-mercantile qui véhicule » le démagogisme», «l’infantilisme légaliste», «le pensage dépendantiste» et autre «philosophie de la lâcheté». C’est dire qu’il avait au Québec une place toute particulière et marginale, qui laissait ses interlocuteurs non-québécois médusés, c’est-à-dire fascinés par la sincérité de la foi et hébétés par la violence de la parole. Avec sa disparition, quelque chose est déjà effacé à la gauche extrême du paysage de la poésie québécoise et francophone  -  restent ses poèmes comme un levain universel.

 

Maîtres partout ils savent où ils vont

l’autre côté de la rue Cordeau c’est Derby Line

l’enfance aux dents l’éclat des mers l’ivresse des pentes

les verres fumés

comme s’ils étaient toujours en vacances

comme s’il y avait quelque chose qui les repoussait

quelque chose de dégoûtant

de ce côté-ci du monde

qu’ils ne voulaient pas voir

pas toucher

pas être en contact avec

L’Aigle royal au-dessus de la porte

un seul mot il attaque

et rien ne lui survit

ni le lys quelque part

le triste petit lys si loin de toute patrie

 

Louis Dubost     revue Décharge

Publié dans Les marcheurs de rêve

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