Tout s'éveille

Publié le par la freniere

T

out s’éveille, les plantes, les couleurs, les sons, le simple bonheur de vivre. Les milles formes du désir prennent forme. La distance entre les choses devient une présence. Le vert est une pomme acide, le gris, un effet de lumière, le rouge, une prémonition. L’eau du lac se dresse à la rencontre du regard. Un étrange fourmillement agite les bourgeons. Je vois les paysages à travers les mots, les visages sur la noire transparence de l’encre. Les routes, les couleurs, les images, les formes chantent littéralement. Je peins avec ma langue la toile du silence. La vie sort de moi et chatouille le monde. Il y a partout des bras, des mains prêts à saisir leur ombre, des reflets de lumière, le contour d’un rêve. Avec les mots les plus banals, je fabrique des cabanes comme font les enfants avec des bouts de planche. J’ouvre des routes au bout des pieds. La mort tue le temps mais la moindre naissance fait bouger les secondes.

         La ligne d’horizon cherche toujours à fuir, entraînant avec elle le moindre des regards. Aucun pas n’y accède. Tant d’alpinistes meurent en croyant la toucher. Même nu, le corps de l’homme reste toujours un masque. La pellicule de l’enfance épaissit jusqu’à la carapace. On n’écrit pas pour oublier ou pour se souvenir. On écrit sans savoir pourquoi. Les souvenirs arrivent de surcroît. La vie finit toujours par déborder et envahir la page. La mer n’efface pas vraiment les traces sur le sable. On ne se voit jamais dans l’image qu’on projette. Le regard des autres s’embrouille dans nos yeux. La vie est dans cette part du désir qui n’est jamais comblée. Les mots servent à nourrir cette présence du manque. La vie est faite de pourquoi pas, la mort de parce que. La conscience fait de l’homme un voyageur sans halte. L’amour est toujours plus. Il n’y a pas de question à la réponse de l’amour.

         Même entouré de choses, on finira par se trouver. Le non-humain fait rechercher l’humain. S’il est heureux de se sentir bien, il est bon aussi d’avoir un peu mal, un peu froid, de se sentir en vie. Ce que je vois remplit ce que j’ignore. C’est l’un de ces matins où même le soleil attire la brume. La pluie seule est à l’aise. Elle tend et détend de longs élastiques humides. Des morceaux de phrases succèdent aux morceaux de silence. Les mots peuvent avoir un sens. Ils peuvent même contenir la route et l’éternel départ. En doublant les consonnes, on donne de la chaleur aux mots. La forme des poumons façonne la parole. Il suffit d’un peu d’air pour qu’une portée d’oiseaux quitte la cage thoracique, faisant vibrer les cordes vocales. S’ils s’habillent de silence, un livre aux pages blanches leur servira de nid. Avec les mêmes mots, chacun parle sa langue.

À chaque jour, il y a toujours quelque chose qu’on ne finit pas. Peut-être que la peur de la mort laisse une porte ouverte, un œil mi-clos, une main tendue. J’aime les forts qui sont timides devant les faibles. Ils distribuent leur énergie à ceux qui en ont moins. Ce qui nous inquiète nous unit davantage que ce qui nous rassure. Les hommes n’auront jamais qu’une vie. Les femmes peuvent en porter plusieurs. Il m’arrive de reconnaître mes cicatrices sur la peau d’un autre, mes propres yeux dans le regard d’une autre. Les veines chargées d’encre, je navigue à l’estime d’une phrase à l’autre, sans jeter l’ancre sur la page. Je dérive de marge en marge à la recherche de moi-même, un simple atome dans l’univers, un petit caillou au fond d’un bas, un grain de sable entre deux mers, un point-virgule dans l’infini.

L’homme se noie dans les larmes des choses. Une seule goutte de pluie apeure les moineaux, mais quand survient une collision de parapluies, ils applaudissent des deux ailes. La voiture arrêtée n’a pas la nostalgie des routes, mais l’homme rêve encore du mouvement des roues quand son cœur est en panne. Celui qui lutte contre l’ombre blessera la lumière. Je ne cherche pas avec quel argent acheter la vie. Je ne plie pas l’échine jusqu’à faire le singe pour une pièce de monnaie. J’ai la lumière, le vent, la joie, les battements du cœur dans la demeure de la peau, la fraîcheur de l’herbe sur la carcasse du temps, l’éclair des baisers sur les lèvres de l’air, un rire qui gicle dans l’orgasme, des mains qui aident pour aider, un petit sac de rêves dans les bras d’un enfant, l’abri d’une chanson au creux d’une guitare. Je regarde le ciel comme un arc bandé. J’écoute le silence des foins. Je surveille les flammes entre le feu qui brûle et celui qui éclaire. Je m’accroche à la vie comme la cicatrice à ses coutures. Je tends l’oreille à travers l’ombre vers un chant de lumière.

Publié dans Prose

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