Un arc-en-ciel de cailloux

Publié le par la freniere

Des enfants tête-bêche écrivent à l’envers. Ils imitent les nuages qui crawlent sur le ciel. Dès que tout devient nuit, je barbouille une feuille blanche pour éclairer la chambre. Tout commence par le manque. Le monde est plein de vides qui n’en sont pas vraiment. Je ne serais pas surpris de naître plusieurs fois. Le possible est partout. Il vient de bien plus loin que les hommes. Pour respirer la vie, il faut obéir aux gonflements des poumons, aux battements du cœur, à la chaleur du soleil, à la fraîcheur de la pluie, à l’effort des muscles, à la douleur des épaules. Pour marcher, il faut obéir aux quarante cinq petits os des pieds. Pour bien voir, il faut respecter le paysage. Pour être libre, il faut obéir aux lois de la nature, désobéir aux lois marchandes. Tous les gestes obéissent à la lumière du corps. Pour écrire, il faut bousculer les mots et tordre la grammaire, colorer l’encre des images, bouger la langue tel un crayon sur les pages de l’air, oser le je pour atteindre le nous. Une virgule mal placée laisse une écharde aux phrases. On n’écrit pas avec le petit doigt levé pas plus qu’on ne laboure avec des doigts de fée. On prend le gros costaud et puis le pouce comme apprenti. Coincée entre les deux, le crayon fait comme un autre doigt. La fenière est un grenier à blé. Je fais de la frenière un silo à mots.

 

Quand on avance entre les pages, on ne s’éloigne pas, on entre dans le monde. Ce que l’on ne voit pas est plus vrai que ce que l’on voit. De la sortie du ventre jusqu’au dernier râlement, on cherche le chemin. La terre se dilate. L’eau remue avec la langue. Le sens bivouaque à l’ombre des syllabes. J’avance dans l’atelier des mots à la recherche d’un outil. Trop d’anges disparaissent au sanctuaire des vivants. Ils doivent ronger leurs ailes pour obéir aux lois. Les mots en bandoulière, à la chasse aux chimères, j’épaule mon stylo sans savoir viser. Je traverse le fleuve avec les pierres qu’on nous lance. J’en fais un pont, un arc-en-ciel de cailloux, une arche de parole. Entre mes phrases et mes vieux os, dans le miracle d’être là, je n’ai pas vu le temps passer.

Publié dans Prose

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