Une maison de livres

Publié le par la freniere

J’habite une maison de livres. Ils s’empilent comme des arbres du plancher au plafond. Ils ont des nids où les mots se querellent, des pages de toutes les saisons. Leurs consonnes clignotent dans le vent des oreilles. Des chats métaphoriques s’étirent dans la marge. Des anges vivent dans les ténèbres d’encre. Des petites pattes s’agrippent à ma voix. Qui oserait dire que ma cabane est calme ? Une cymbale d’oiseaux soulève la poussière. Malgré les tonnes de mots courbant les étagères, je ne mène pas une vie de papier. J’avance dans les herbes, les bactéries, les batraciens, la glaise originelle, la terre ouverte et vaginale. J’apprends la vie par le noyau, l’infini par le ventre. Je ne refuse pas le moindre poing qui s’ouvre pour cueillir une fleur. J’ouvre la porte aux piqûres de mouche, aux escargots, au soldat qui déserte, au moindre homme debout, à la beauté qui passe. Je plante des poèmes dans les pots de confiture, des jacinthes dans les mots. J’entends marcher dans le grenier. Des souris coursent dans les murs sans réveiller le chat empêtré dans l’arthrose. Il y a trop longtemps que l’homme le nourrit. Il ne chasse plus que les mouches d’un mouvement de la queue. Ses boules de poil se mêlent aux minous de poussière et font tousser les meubles.

 

Il suffit d’un nuage d’encre pour emporter le toit, d’une gorge sèche à force de crier. Le vent corrige les erreurs du ciel. La pluie tombe et mouille les rideaux On entend son bruit tomber sur le papier et déplacer les phrases. Je sors prendre l’air. Je me laisse prendre aux mouvements de la vie. Je parle aux bêtes. Leurs cris sont frères de mes mots. Je me heurte à des pierres, des ronces, des racines. Il se fait tard. Je vieillis. Écrire comme un enfant ne me rend pas plus sage. Des feuilles ensanglantent la rue. Je dois creuser profond. La croix s’allume au bout du lac. Que de douleur dans ce signe. Ma terre est le royaume de personne. Je ne sais plus où déposer mon pain de pierre. Ils en feraient une prison. Ma langue ne va pas droit. Elle se perd en chemin. Le mal, le bien, le vrai… Tous les mots se mélangent, l’ozone, la mitose, les chromosomes du rat. La nature ne connaît pas la ligne droite. C’est une erreur de civilisation, un artifice humain. Faire sa vie, se faire un nom, faire des affaires, faire la guerre, faire des sous, enfermer l’univers entre des parenthèses.  Il me semble plus humain de graver sur un arbre un prénom dérisoire. Sur la copie du monde s’est glissée une erreur. Au lieu de désespoir, il faut écrire amour. On peut biffer l’argent, la carabine et l’or. J’ouvre les parenthèses. Je fais marcher les mots. Ils me ramènent à la grammaire, à la raison, à la maison de livres.

        

Les doigts du soir griffent la vitre. Des rêves se chamaillent dans le ring du sommeil. On ne s’évade pas de soi. Si tôt qu’on entre, on en cherche la porte. Craignant les charognards, j’éparpille ma chair dans une poignée de livres. Le ciel vire au noir. La neige va tomber, égalisant les routes, effaçant les couleurs sur une terre équivoque. Les arbres laissent tomber leurs habits de vivants d’où sortent des bras nus. Ils se dressent comme des morts restés debout. Le froid comme une fouine mord la joue des jours. Les outils du jardin laissent tomber la terre. Il ne reste plus, de ci de là, qu’un essaim d’herbe jaune s’éloignant de la ruche. Des mariages d’oiseaux envahissent les fils. Ils s’en vont mordre ailleurs les vers de l’été. Mon verbe est à l’écoute des insectes et du merle, de l’herbe et des œillets, du grain et de l’ortie. Mes rêves se reflètent dans les yeux de mon loup. Il suffit de peu de chose, deux syllabes, trois consonnes, une phrase bancale et la maison s’allume comme une toile de Bellet.

Publié dans Prose

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