Une paille contre le vent

Publié le par la freniere

Je ne trouve pas facile d’aimer les hommes en groupe. Le troupeau les rend bêtes. Les mêmes mots servent à se taire ou à se dire. C’est leur usage qui les oppose entre eux. Il y a des je t’aime pourris, des je te hais d’amour, des mains jointes pour frapper et des sourires qui tuent. Dans l’air qui nous manque, certains mots nous étranglent et d’autres font du vent. Où trouver la lumière quand le monde se résume aux parois des écrans ? On lit l’avenir dans les ruines à venir et l’angoisse du temps sur les lignes de la main. On prend la ligne droite pour de l’intelligence et la ligne de coke pour du courage. On oublie trop vite qu’on vient au monde pour être, non pas pour paraître. Je n’écoute plus la télé. J’écoute à chaque porte. Armé d’une paille contre le vent, j’écris dans le tonnerre. Toutes les couleurs du monde travaillent à nous aimer, mais nous ne voyons plus.

 

Il fait un temps de petit lait, un petit matin laid, une verrue sur le nez, un verre de pluie chagrine. Des corneilles en soutane sermonnent les érables pendant qu’un colibri embrasse le pollen. Des milliers de monarques envahissent les champs. Ils se préparent à partir pour le sud. L’instant bande ses muscles mais l’âge les relâche. Les mots bougent comme la langue. Épinglés sur une page, ils continuent de vivre. Les choses que je dis prennent le ton de ma voix. J’écris sans but, guidé seulement par le désir, cet aimant de l’esprit. Les mains vides font de l’art mais celles qui soupèsent se méfient des caresses. Leurs doigts font de l’arthrose et finissent en poing. Ce n’est pas l’âge qui importe mais l’âme qu’elle nous fait. Ma vie n’aura été que cette salive qui coule entre mes mots et glisse entre les trous des larmes. Je ne suis qu’une échine, le dos courbé du temps, un vent qui cogne aux tympans des érables. J’ai dans les poches quelques éclats de lune, des brins de paille tirés au sort, des brimborions d’enfance, les herbes folles d’un sourire.

 

Couvert de métaphores, je me faufile à rebours des images. Malgré tous les secrets, on peut voir mon âme au-travers de mes mots. Au milieu de la ville, je rêve de mûriers remplaçant les murailles. J’ai fait ma route avec les arbres, les fleurs, les papillons. Je garde entre mes phrases la nostalgie du silex. On ne voit plus l’œil du ciel mais sa paupière de nuages. Les mots se hâtent vers leurs muscles pour empoigner la vie. Toutes les raisons du monde ne peuvent rien contre l’amour. C’est toujours au bord du gouffre qu’on avance d’un pas. L’ange qui est en nous y développe ses ailes. Il y a toujours un feu qui couve sous la cendre, un petit rien pour servir de mèche, un petit tas de mots pour allumer le tout. Mon cœur de brute s’adoucit au passage des fées. Dans le pire des cas, il y a toujours une phrase comme instrument de secours. Les routes serrent les coudes. Les fleuves tendent leurs bras. Les ailes qui se cognent aux barreaux d’une cage finissent par l’ouvrir. Je ne fuis plus lorsque je vois la mort. J’assemble ma vie peu à peu sans en chercher la trame. Les soucis du verbe être ne sont jamais les mêmes. Chacun a sa conjugaison. Le ciel est toujours bleu. Ce sont les yeux qui s’usent. On finit par voir avec ses mains, sa tête ou sa langue. Je cherche les mots qui font grandir et se donner la main, les mots qui font l’amour et transcendent les hommes.

Publié dans Prose

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