Une peinture à l'alphabet

Publié le par la freniere

Le vent court à bout de souffle au flanc de la falaise. Il tousse et puis crachote dans un dernier soupir. Les épinettes noires ont l’air de cercueils rangés verticalement. Les corbeaux y célèbrent une messe macabre. Plus loin, la route lape de sa langue de bitume les insectes mécaniques. Ses papilles sont gorgées de gasoil. Les feux des phares balafrent la grand-route. Les derniers couacs de l’hiver dérident les oiseaux. Ils reviennent par bande squatter les corniches des toits. Ils font même leur nid dans mes tournures de phrases. Les arbres perdent leurs cheveux blancs et les poteaux de clôture leur tuque de froidure. Les cailloux se transforment en grenouilles. Les champignons, sous leur capuche de lutin, agitent leurs oreilles. La terre qui dormait en manteau de marmotte se réveille au printmps.Le grillon pleure avec ses ailes. L’oiseau sourit avec ses plumes. La peau du lac retrouve son élasticité. Les flocons deviennent des libellules, les hirondelles de menues queues d’aronde dans les planches du ciel. Les perce-neige égaient la garnotte en grisaille. Il fait chaud désormais. Dans la ruche de fonte, les abeilles du feu cessent de bourdonner. Quand l’eau du ciel s’est apprivoisée, il suffit d’un orage pour qu’un éclair perce l’abcès blanc des nuages. Au parterre du verger, les petites pousses ressemblent à des groupies acclamant leur idole, un grand pommier chantant la pomme. Là où les pins tiennent leur langue, les trembles s’épivardent. Tôt ou tard, leurs bras deviendront des pattes de chaise, leur tronc un dessus de table. Sous l’écorce d’un arbre, la tombe avoisine le berceau.

 

Chaque heure ajoute une épaisseur de peau au squelette du jour. Sur les planches de grange, la lumière et l’ombre, dormant dans le même lit, ont engendré du gris. Traversant des pages maculées d’émotions, ma vie cousue et recousue se promène en poèmes. Peu à peu, le plein s’insère dans le vide. Les mots orage soleil ou pluie ont plus de poids dans le livre du ciel. Un nuage passe à la belle épouvante sans qu’il y ait de vent. Sortant mon stylo, mon carnet, j’essaie de le retenir sur la page pour qu’il pisse de l’encre. Il se heurte à la ligne d’horizon. J’essaie de faire un arc-en-ciel avec ses bouts d’étoffe, ses couleurs étouffées, ses battements de ciel. Mon écriture est un dessin. La couleur des lettres possède sa musique, i vert, u do, abc Bach, jaune Van Gogh. Chaque phrase bat la mesure dans le concert du langage. Il suffit d’un accent pour que change la gamme, pour qu’un ruisseau ouvre la bouche, pour que passe un oiseau. Je remplis mes pages d’une peinture à l’alphabet. Un Orénoque d’encre inonde mon palais. À défaut d’habitat naturel, j’habite mes poèmes. Quand j’étais citadin se sont les mots que me servaient de toit, de forêt, de grottes, d’Himalaya. Dans l’essaim de la ville, les abeilles butinent des fleurs de papier. Le miel de verre des écrans dénature la vue. J’apprends à lire juste en levant les yeux. Le sens de la beauté perd son abstraction dans la présence des fleurs. L’enfant battu préserve un besoin de caresses. Le rêve importe plus que le réel. Quand même les poteaux sont inscrits sur une liste électorale, il faut libérer la sève et la remettre aux arbres, rendre au ciel ses nuages, ses rivières à la vie, laisser du trèfle pour la chance, une chaise à l’espoir.

Publié dans Prose

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