Vivre l'instant
"LA FEMME EN VOL " roman de Ile Eniger
Ou vivre l'instant
Notre époque est celle de l'explosion mondiale des échanges commerciaux, celle de l'imposition des normes, de la disparition progressive des différences qui sont les véritables richesses de la planète, celles de l'élimination des artisans, de la petite boutique, de l'exploitation familiale agricole. C'est le sacre de la finance aveugle et carnivore, jamais rassasiée. Pour survivre dans ce monde, il faut être rentable et revêtir la livrée de l'acceptation : se taire et servir. Réduit au silence, "l'homme produit" "l'homme objet", "l'homme jetable" est condamné à une existence entre les quatre murs invisibles de l’Avoir. Ceux qu’on nomme grands (Boris Vian) fixent les objectifs, décident des cours, affament les uns et enrichissent les autres. L’homme n’existe presque plus, il est esclave, pion, marionnette, dans une société manipulée par les champions de l’image qui ordonnent, dirigent et surtout, virtualisent le quotidien. L’illusion et le mensonge sont au pouvoir comme la noblesse et le clergé autour du roi avant la révolution française de 1789. Sur sept milliards d’individus, combien contestent ouvertement cette forme cruelle d’existence ? La race humaine, dans sa grande majorité, cède à la facilité et au conformisme qui commence avec la crèche et s’achève avec la mort. Tout est prévu au millimètre, il suffit de renoncer à ses rêves, à ses aspirations, à tout ce qui bouge au fond de soi, à tout ce qui rend vivant, et signer le pacte avec Méphisto comme on signe un crédit avec le banquier.
Ne déprimons pas face à ce terrible constat, car je vous rassure, il existe des êtres dont on se garde bien de parler, des êtres qui refusent la chaîne, la niche et la soupe, pour vivre la liberté, leur liberté.
"LA FEMME EN VOL" est un bel exemple de résistance. Avec ce roman, paru aux Editions Parole dans la collection 'main de femme', Ile ENIGER ouvre toute grande la maison d’une vie, celle de son héroïne. Cette jeune femme amoureuse d’un artiste, prend à bras le corps son existence, n’hésitant pas à mettre en déroute les habitudes, les conventions, à s’affranchir des autoroutes à péages et de tous les gadgets qui sont autant de boulets au cou de l’homme battu et content.
Fane la vagabonde incarne le refus des emplois du temps imposés. La jeune femme ne cède jamais au désir confortable et suicidaire d’être une 'petite victime' satisfaite d’une destinée insipide et sans relief, c’est à dire sans bonheur.
Evidemment, dessiner son propre chemin et décider du rythme de sa marche comporte les mêmes dangers que la chèvre de Monsieur Seguin échappée de l’enclos. Mais être libre, ne fut-ce que quelques heures et agir selon son cœur semble un désir parfaitement légitime et le monde renouerait avec la joie s’il pouvait, pardon 's’il osait', agir comme cette "femme en vol".
Fane a grandi dans un espace où les seules limites étaient l’infini du ciel et la courbure de la terre qui n’atteint jamais le fil de l’horizon. Quand on a, depuis son plus jeune âge, chevauché pieds nus le chapelet des jours, il est bien difficile et douloureux d’enfiler des chaussures lacées.
Sans ces êtres qui refusent le troupeau, l’histoire de l’humanité ne serait qu’un long fleuve monotone, sans intérêt. Une descente morne et aseptisée dans la couche du renoncement. Qu’une Fane apparaisse et tout se métamorphose. Bien entendu, elle est critiquée, combattue, mais elle tient bon. Elle ne souhaite qu’une chose, une seule : vivre sa vie, la vivre pleinement, comme on croque à pleine bouche, à pleines dents, un fruit juteux caressé par la lumière à son zénith.
Elle veut disposer du premier au dernier jour de son existence pour aimer totalement, aimer jusque dans la gueule de la mort. Elle aimera, non comme un défi, mais bien comme une femme libre, libre réellement. Cette attitude que la plupart qualifierait de 'pittoresque' est loin d’être sans danger. Notre héroïne le sait, et elle affronte chaque épreuve avec cette fierté, parfois cet entêtement, qui forge les âmes avec l’acier glacial et bleuté de la solitude.
Qu’importe, Fane sent son cœur battre malgré le regard méprisant de toutes celles et ceux qui aimeraient agir comme elle. Oui, mais pour agir de la sorte, il faut une dose inépuisable de courage. Il faut du courage pour vivre ce que murmure sa petite voix intérieure. Il faut du courage pour remonter le courant absurde et mortifère qui entraîne tous les peuples de la terre jusqu’à la chute. Il faut du courage pour écrire et se mettre à nu devant la foule anonyme des lecteurs.
Ce roman raconte l’histoire de ce courage silencieux et tenace, de cette bataille quotidienne sourde, invisible, inconnue, avec des mots qui chantent et dansent comme le ruisseau au milieu des cailloux. Ces mots sont une nourriture, celle de l’espérance. Cette prose, souvent poétique, nous permet d’entrer dans l’intimité de l’héroïne qui se révèle tour à tour, sensible, surprenante et particulièrement attachante.
Ile Eniger rejoint, par cette œuvre, les voix de George Sand et de Colette, qui furent, chacune à leur époque, toujours au diapason de leurs idéaux.
Comme moi, vous aimerez la fraîcheur de cette aventure devenue si rare chez nos contemporains. Cet ouvrage est l’exemple d’une vie ordinaire qui, au fil des chapitres, change de visage pour devenir, peu à peu, une destinée hors du commun, loin des ornières de l’hypocrisie où l’argent et le pouvoir sont les deux mirages criminels qui régissent nos sociétés modernes !
Comme moi, vous succomberez au charme de cette jeune héroïne, Fane la rebelle.
Vous l’aimerez pour ses attitudes, ses prises de positions, ses colères, mais également pour sa douceur, ses doutes et sa fragilité.
Vous l’aimerez parce qu’elle est totalement humaine, pure, généreuse et vraie.
Vous aimerez Fane, celle qui ne renonce pas, et votre regard sur la vie en sera changé à jamais : vous aurez découvert "LA FEMME EN VOL " d’Ile ENIGER.