Hinterland
Après l’assassinat des villes en dépotoirs publics
vient celui des campagnes en sites touristiques.
Les oiseaux s'enlisent sur une mer de mazout.
Les phares des autos font des trous dans le réel
où se perdent les routes.
L'autre meurt devant nous,
nous mourons devant l'autre
dans la macabre panoplie des mutants et des spectres.
Chaque matin nous recrée
pollen guenille ou peau entre les dents des loups.
Seul esseulé solitaire, je suis l'enfant de la balle
qui cherche ses racines dans les arpents du rêve
que le hasard lui lègue.
Je suis l'arbre qui pousse étranger à ses branches
dans le ciel encore vert où se noie la mémoire.
J'avance les yeux tournés vers d'autres galaxies.
Dans le gigantesque hinterland étranglé de prozac,
de matricules, de normes nous ne survivons guère
que par un infime tremblement à l'orée du silence.
Entre les massacres à coups de pioche,
les mines, les seringues, le vol de l'identité
ou le viol de l'intimité
il y a mille manières de nier le voisin,
l'autre, l'étranger ou le frère trop rebelle.
Entre la bêtise et le révolte
je garde le savoir des durées souterraines.
Je revendique le va et vient du coeur
en route vers l'impossible.
Dans cette course perdue d'avance
j'attendrai l'improbable.
Même si je fus longtemps
à la remorque des boissons réchauffant l'amertume,
remplaçant le baiser par une gueule de bois
je reste trop amoureux
pour être du côté des honnêtes gens.
Devant l'exécrable cortège
des snobs et des mutilés du travail
il y a loin de la coupe aux lèvres.
Bâtard d'un siècle qui ne m'amuse plus
c'est pour m'éloigner du no man's land socioculturel
que je vis à la campagne.
À force de multiplier les murs on étouffe à leur pied.
Esthète de la délinquance
je paie en monnaie de singe
lorsque je flirte avec le désespoir.
J'appartiens à la race douteuse des déclassés,
à celle sulfureuse qui allume la mèche.
Le temps passe dit-on
mais qui le voit trembler de métropole en nécropole.
J'avance dans la vie comme l'enfant qui accède
au ciel vertigineux des arbres.
Je fabrique des baisers pour saluer le printemps
et dire bonjour aux fruits qui dorment
encore dans le fond des bourgeons.
Jean-Marc La Frenière