Pour remercier André Frénaud

Publié le par la freniere

Pour remercier André Frénaud

Je me souviens
c’était à Nantes rue Franklin.

Le livre avait pour titre Il n’y a pas de paradis
j’avoue Frénaud n’était pour moi qu’un nom
certes un nom de poète.

Quinze francs avait crayonné la main du bouquiniste
avant de jeter l’exemplaire défraîchi sur l’étal au dehors.

Frénaud pour qui ne vous connaîtrait pas
je vous cite d’entrée :
« Et qui affirme se trompe, qui croit en soi se hausse en vain. »

« Fin 1994 début 1995 » —
ainsi ai-je daté ma lecture, à l’encre brune sur la première page —
peut-être m’avez-vous sauvé la vie.

Je vous lisais seul devant la cheminée éteinte
une fois les enfants couchés sans leur mère plus jamais :
« L’absence brûle comme la glace ».

« La femme murmure » annonce Frénaud en italiques
puis dans un autre livre « une femme parle »
cet homme fait prodigieusement parler les femmes.


Frère dans la détresse Frénaud fragile puis saisi par cent joies
et sans espoir et vaincu et résistant aux abandons
frère toujours
vous aidez à vivre vous m’aidez.

Tandis que Char le trop sûr l’exemplaire
entièrement héros me désespère.

Place aux doutes chez AndréFrénaud dans sa nuit
place aux faiblesses nôtres tout enroulés de r bourguignons —
un jour d’avant le jour de la rue Franklin
je vous avais vu, entendu à la télévision.

Frénaud sans préciosité sans chatteries de langue
sans moralisme sans posture sans lendemains qui chantent
et sachant sur un mot faire parfois le clown :
pas toujours sérieux.

Frénaud que je relis comme incrédule chaque fois
rejoignant l’adhésion suffocante de la première fois.

En commun avec vous André Frénaud
les îles, les anges et les chaussettes jaunes,
aussi l’alexandrin mutin
et ce « vivant trop assuré du malheur de vivre ».


Frénaud cette droiture sans raideur
dans chaque ligne cette sincérité inattaquable.

Je ne dis pas qu’André Frénaud est le plus grand poète du XXe siècle
(et quelle stupidité il y aurait à décerner ce titre)
je dis que c’est celui qui m’a le plus ému — touché, parlé, remué,
chamboulé, ébranlé, tourneboulé, frappé,
happé, bouleversé, poigné, atteint, étreint,
marqué, émerveillé, retourné, tenaillé,
troublé, tarabusté, emporté, transporté,
impressionné, secoué, attendri, saisi,
et consolé.

Frénaud « visité » qui nous visite.

Frénaud que je ne visiterai jamais meurt le jour de l’été 1993

un peu plus d’un an avant que je remonte à Nantes la rue Franklin.

 

Bernard Bretonnière

Publié dans Les marcheurs de rêve

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