À l'appel des loups
Depuis qu’on a posé les deux pieds sur la lune, quel fantôme répond à l’appel des loups ? J’avance pas à pas, voyelle par voyelle. Les bouleaux, dans la grammaire des villes, ont fait place au boulot. Les boutons d’or ont fait place aux boulons. Les paysages ont fait place aux vitrines. Nous vivons, paraît-il, mais où donc est la vie ? On regarde les hommes comme on regarde une montre à la lueur des écrans. On ne voit plus les choses mais leur vide. Enfermé dans son identité, laminé par son rôle, l’homme n’est plus qu’une carte qu’on insère dans la machine sociale. Il ne sait plus sortir par les portes fermées. Les portes ouvertes lui servent de prison. Il lui manque le rêve et le sang dans les veines. On ne lui laisse que le temps, le temps compté, monnayé, mis en chiffres.
On n’entend plus chanter ce que la vie nous dicte. On n’entend que les mots qu’impose la monnaie. Par manque de racines, on s’accroche au papier. Je voudrais que mes mots s’échappent de la page, que mes phrases dépassent les limites du papier, que mes images éclairent ce que cachent les yeux. Je voudrais que mes pas traversent l’ombre qui me suit. La lumière de l’ombre est l’ombre. La soif de l’eau est l’eau. Je cherche encore l’amour dans les caresses en ruines, l’espoir sous la cendre, la main derrière la forme.
Nous passons notre vie à chercher une porte. Lorsque nous sommes dehors, tout le reste est dedans. Lorsque nous sommes dedans, tout le reste est dehors. Quand le dedans et le dehors se rejoignent, nous cherchons où nous sommes. Le temps du pied n’est pas celui du pas. Nous passons notre temps à chercher la bonne heure. Qu’ils se taisent ou qu’ils parlent, les mots nous font et nous défont. La naissance et la mort se rejoignent toujours.
On ne voit pas le temps passer. On ne voit que les rides. On ne voit pas l’oiseau qui refuse de voler. On voit celui qui vole. Quiconque donne de l’eau donne un sens à la soif. Quiconque donne un pain fait sa prière au blé. Il faut s’aimer pendant qu’il est encore temps. L’argent nous suit comme des ombres avec ses bombes et ses vendeurs, sa monnaie de singe et ses rabais dans un espace chloroforme. Des mots s’échappent parfois entre les plinthes du mur et les plaintes du papier, entre la toile et le pinceau. Un merle se fait entendre dans les gloussements de l’arbre. Qu’il pleuve ou fasse soleil, je me nourris du ciel. Je m’abreuve aux racines pour écouter les fruits.
Je suis comme une pomme dans un arbre, une île sur la mer, un reflet dans la neige, la vie qui grimpe sur les mains, la sève dans le tronc, le chant dans la gorge, la source dans l’abîme, la lumière dans les lampes. Je suis la flamme dans la paille, le fleuve dans la mer, le ciel dans la pluie, la laine dans l’hiver, l’odeur de l’herbe dans l’été, l’espoir de l’oiseau dans une poignée de plumes, la cigale au milieu des fourmis, la tendresse dans la foule, la jambe heureuse de marcher. J’ai la parole par ma mère, la musique par mon père. J’ai la mer par le fleuve, le ciel par magie. J’ai la neige par la pluie, la chaleur par l’érable. J’ai des ailes par l’oiseau, des nids par la forêt. J’ai la carte du monde par l’encre et l’alphabet. J’ai tout perdu, jeté, sali. J’ai souillé l’or et la tempête mais j’époussette chaque mot en me levant matin. Je suis resté caché derrière mes sept ans et je surveille l’homme. Mes yeux ne voient plus mais devinent derrière les apparences. Qu’importe qu’on me ferme la porte au nez, mes livres sont ouverts. Les feuilles qui remuent ont le visage du vent. Du haut de ses branches, l’arbre nous voit bien avant qu’on le voit. L’étoile nous éclaire après qu’elle ne soit plus. Tous ceux qui ont vécu nous mènent par la main. Les fleurs dans les champs redressent notre espoir. Je planterai des arbres pour que les hommes écrivent, pour qu’il n’y ait plus d’étrangers, pour que l’écho réponde en forme de poème.
Jean-Marc La Frenière