Mon père
Celui que je vois dans le paysage noir et blanc, c'est mon père. Il marche depuis tôt le matin dans les rangées longues. Seul. Dans le froid et le silence, il taille les vignes. Basses. Quelques merles l'accompagnent entre les mottes grises et dures d'hiver. Comme eux il siffle quelquefois. Quand le mistral glacial secoue sa canadienne, il remonte son col. C'est un taiseux mon père, du mal au dos ou des gerçures, il ne dit jamais rien. Il travaille sans gants. Parfois il crache dans ses mains, les frotte l'une contre l'autre, puis il reprend le mouvement d'aller. Son geste est précis, il claque sec le sécateur, au bon endroit. Des centaines de fois. Il avance courbé, plié en deux sur les ceps noirs. Toute la journée. Seul. Au soleil il connaît l'heure, le clocher la confirme. Quand il rentre, au soir, il accroche sa lassitude à la patère du couloir.