Je courais
Quand j'étais jeune
je ne savais où aller
je courais
après mon père
après ce chat qu'il me fallait apprivoiser
après cet alphabet qu'il me fallait dompter
je courais
après mon âge
et les grands qui partaient à vélo.
Seul, en attente d'être grand
à l'âge du duvet sur les joues
laissant mes mots au vestiaire
je courais après filles
dans l'infortune des timides
je courais les échecs et le spleen
je courais la rime
voulais être Rimbaud
sac au dos, je courais des rêves d'aventure
je courais après la vie
les amis, le travail, une raison de vivre.
Je courais, courais, dans l'odeur des casernes
courais après le temps
après les larmes, l'exil et le chagrin
dans les rayonnages du mot
à frontière de raison
de l'imparfait au futur je courais le verbe être
je courais après le temps
je courais je courais je courais
jusqu'à ce que s'ouvre ce chemin intérieur
où j'ai couru de mois en mois en mois
où j'ai couru de moi à moi
Je ne cours plus
j'ai trouvé de l'encre et du papier
des yeux d'enfants, des yeux de chats
si grands que j'y lis le monde
je ne cours plus
j'ai trouvé des êtres à aimer
plus grands, plus vastes que le champ des étoiles
et toutes les mappemondes du monde
je ne cours plus
je suis enfin arrivé chez moi
pour être, jusqu'à ne plus être.
Maintenant je sais
pour aller à soi
courir est inutile.