Le métier d'arriver

Publié le par la freniere

Lorsque j'ai peur, je tends la main vers un brin d'herbe. Que faire en hiver? Les bourgeons sont là, cachés sous la neige. Ils deviendront des fleurs et puis des fruits. Entre-temps, ils sommeillent entre les vers de terre, les taupes et les racines qui ne sont pas carrées. Écrire est une prière, une forme de musique, une peinture vocale, un peu de brume dans le vacarme des couleurs. C'est avec mes yeux que j'apprends à voler. Ça prend toujours une cigale pour chanter, une abeille dans le troupeau, des images de poète dans la prose des jours, un sabir d'enfant dans la glossolalie, un homme de coeur parmi les hommes de main, un homme de science parmi les hommes d'affaires, une âme de vivant parmi les macchabées, un mâcheux de gomme balloune, un bourgeonneur de cerveau, un lanceur d'alerte, un cracheur de feu, un tire-pois dans les mains des enfants, un déserteur qui tire à blanc, un tireux de roches dans la vitrine des riches, un ti-clin de papier fonçant dans l'écriture, un ti-casse en bécique, un p'tit crisse de bum tirant la langue aux péteux de broue, aux boss de bécosse et aux gérants d'estrade. Le monde avance en titubant entre les mâchoires de l'étau capitaliste pour y perdre ses dents. Il en sort comme un peigne édenté qui n'épouille plus rien. Le Québec sort à peine de l'encens des églises et l'on voudrait qu'il hume l'odeur des tchadors. Aucun Dieu n'est viable avec la liberté. Je préfère être libre et damné que croyant à genoux baisant la poussière du sol ou la bague d'un évêque. Je me suis tant perdu, j'essaie de me rejoindre dans les livres et les ficelles de pauvre qui attachent mes mots, un peu moins flou, un peu plus fou. Je me noie dans les phrases, les mots qui manquent, les mots en trop, les maudits mots, les mots qui fuient ou me débordent. Seule la grâce des mots m'intéresse, la saveur des choses, la couleur des jours, le patois du silence, les railleries du temps, la force de l'amour, la présence des hommes. Je lèche de mes yeux la bave du silence comme les bêtes mâchonnant les friandises de l'herbe.

Le silence nous éloigne ou nous rapproche, c'est selon la douleur ou la jouissance. Les ivrognes cherchent l'absolu au fond de chaque verre. Ils voient Dieu derrière chaque comptoir, une bouteille à la main. Le temps nous met au pied du mur sans que l'on soit maçon. J'ai beau changé mon stylo en truelle, mes briques de parole ne tiennent pas la route. Tout s'écroule comme un château défait. Je ne cours plus avec mon loup. Je ne peux plus marcher comme une hache qui s'abat. Je marche du pas des arbres pour reprendre mon souffle. Les feux d'artifice d'hier ne sont plus que des hiéroglyphes de cendre. La voix qui cogne dans les mots se termine en murmure. Les vieillards parlent bas. Les mots sont déficients. La nature n'a pas besoin de l'homme pour décrire les saisons. Les champignons n'en finissent plus d'engraisser la terre. Ils ont mangé la pierre, transformé la lave des volcans en milliards de brindilles, crée les arbres, les jardins, les montagnes et les jardins moussus. Les serpents muent comme la terre a mué. Des familles d'acariens habitent sous les draps. Leurs enfants s'amusent dans les taies d'oreiller. Les fleurs pointent leur doigt vers le ciel. Les roches comme des poings s'écrasent sur le sol. Des insectes se déguisent en brindille pour attraper leur proie. Il y a même des îles nées du feu. Tout froidit quand la chair de l'été se retire, laissant des sarments secs et une absence de fleurs. Les vers s'enfoncent plus avant dans l'humus et la glaise. Je me voudrais plus loin, mais mes mains ne savent plus cueillir que le proche. Je ne sais plus qui je suis, un ours habité par un clown, ses rires de pantin, ses larmes de crocodile, un loup qui a perdu ses dents, un enfant dans un corps de vieillard, un illettré qui se prend pour un poète, une chaise philosophant avec la table. Derrière chaque lieu, je découvre d'autres lieux, un autre ciel derrière chaque nuage, tout un monde inconnu derrière chaque virgule. Il pleut comme on urine sous les jupes du ciel. La neige semble tomber de rien, mais elle recouvre tout.

La terre songe toujours aux saisons qui viennent, aux fruits possibles, aux bêtes qui frissonnent, aux hommes qui labourent, au vent qui la bourre de coups. Je tire profit de tout, de rien, d'une brindille, d'un oiseau pour en faire un poème, une phrase, un paragraphe. À la recherche de ce petit rien qui rend tout possible, je continue ma quête. Que faire des phrases taillées trop larges pour la page, des manches trop courtes pour les bras, des mots trop pesants pour le sac des ans. Mon cœur est plein de traces de coups comme une planche pleine de clous. Peu importe où l'on naît, on est déjà perdu d'avance. Peu importe qui on est, nous sommes tous des fantômes en suspens. Ivres d'espoir déçu, d'espace disparu, on fait tempête dans un verre d'eau. On se cogne le front sur le réalité. On bricole de petits riens. On fait des pieds et des mains pour un instant de bonheur. On fait la tête pour un petit pépin. On passe le balai sur la poussière du temps. Certains de vivre vieux, on soupèse les fruits pendant que la mort fait ses emplettes. Ici, toutes les fenêtres s'ouvrent sur le lac. Je veux manger des yeux le pain du jour, sentir mon poil se dresser sous les frissons de la vie. À la fonte des neige la nature s'autorise le débraillé des champs. Le ciel relève son jupon pour que le vent y danse. Si la saleté du monde remplissait une poubelle dans nos têtes, au moins pourrait-on la vider. Une fleur dans un verre en plastique épice d'une miette de poème la prose poussiéreuse des choses, un peu de kitch dans les yeux d'un oiseau, la roue qui tourne d'un vélo renversé, la cerise sur le gâteau des jours. À la longue, toutes les choses nous échappent, même le bruit des choses. Le temps parfois s'avance à reculons ou étire ses secondes jusqu'à former des bras. Je remue la terre des mots avec ma tête de pioche. Le temps des montres se perd dans une aiguille de pin.

Après la pluie, les escargots et les grenouilles sortent dans l'herbe. En hiver, les bonhommes de neige saignent du nez. Mes gribouillis ressemblent à des dessins d'enfant. Je me souviens du grand pédalo bleu, des cygnes sur le lac, des signes d'orthographe et des fautes de grammaire, des balançoires et des glissades, de Chibouki rongeant son os, des écureuils dans les pins, des vers de Prévert, des vers de terre au bout des lignes, des verres à boire, du rayon de soleil dans une flaque d'eau, des fillettes et leur corde à sauter. Chaque matin, je rhabille le cadavre du jour et le mène prendre l'air. Un peu de nuit colle encore aux paupières, des résidus de rêve vite lavés par la pluie. Des boxeurs s'affrontent dans ma tête, une meute de loups, une volée d'outardes, un danse de lutins. Je m'efforce d'oublier tant des choses inutiles, l'argent, le pouvoir, la gloire. Tous les deux jours, je me rends au cimetière pour vérifier si les morts se portent bien. Je n'ai jamais eu de réponse. J'imagine le pire ou le meilleur. Certains cadavres s'entretuent pendant que d'autres font l'amour. Le gibet n'en peut plus de porter des pendus, les armes de tuer, les hommes de mentir. Le temps qui passe finit par n'être plus du temps. Je ne suis pas qui l'on veut que je sois. Je suis parmi ceux qui deviennent, les survivants du capital. Ils ont remplacé l'argent par l'éthique et l'esthétique, le travail par le jeu. J'ai tout fait pour échapper à l'industrie. Il faut parfois rater sa vie. Il y a longtemps que suis parti. Je n'ai jamais fait le métier d'arriver.

Jean-Marc La Frenière

 

 

 

 

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