L'étranger

Publié le par la freniere

Il ne s’agit pas de connaître l’étranger, mais de le devenir. L’étrange. L’étranger. Le rare. L’inouï. Le marginal. Toute la terre est familière à celui qui s’y perd. Chaque goutte rêve à la mer, chaque enfant à sa mère. De la naissance à la mort s’ouvre une immense parenthèse. Je ne n’ai pas besoin de code pour penser ni de béquille pour écrire. Je n’ai besoin que des mots pour abolir l’espace. Un crayon me suffit, les feuilles blanches du silence. Je m’étonne du miracle de vivre. Nous savons que le monde est beau. Les peintres le dessinent. Les poètes le chantent. Les enfants lui sourient. Il arrive que les hommes respectent la nature. Les bras des arbres agitent leurs petites mains de feuilles. Les pigeons roucoulent en sourdine. Les pieds sont un chemin qui marche.

On ne lutte pas contre le temps, on l’apprivoise. C’est avec les oreilles qu’on écoute l’espace du silence, avec les yeux qu’on regarde le monde, avec les mains qu’on façonne les choses, avec la langue qu’on dépouille les phrases. Quand j’écris le mot tonne sur la page, il ne pèse que le poids d’une plume, le poids de l’encre et de quelques syllabes. Le silence autour de nous est comme une maison. Des fantômes y habitent, des parfums invisibles. Chacun de nous est l’égal d’un caillou. Chaque pas est l’égal d’une route. L’économie est l’égal du mensonge. Les banques sont pleines de vide. Le monde commence partout, quelques bulles au milieu de la terre, quelques gouttes, quelques atomes, quelques mots, quelques muses. Les pierres et l’eau s’unissent et parlent d’au-delà. Les arbres philosophent. Je les écoute avec l’oreille du cerveau. Mes yeux plongent dans la profondeur des caves ou montent jusqu’au grenier. Je cherche un peu de paix dans les batailles de chiens, un gramme de tendresse dans les batailles de chats, une onde de douceur dans les griffes des bêtes. Il faut avoir souffert dans un lieu pour vraiment le connaître, hurler avec les loups, trier les ordures avec les éboueurs, rugir dans les batailles de félins. Il faut manger les pissenlits par la racine pour connaître la terre.

Jean-Marc La Frenière

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