Entre les lignes

Publié le par la freniere

À l’étage du ciel, dans la bibliothèque du cœur, j’échange des regards avec les livres, les parchemins, les pages mais les morts dans la cave font résonner leurs pas entre toutes les lignes. Le doute et la souffrance s’installent sur les chaises. Le bonheur dans l’armoire se cache sous les draps. Des ombres se détachent des murs et se mêlent au silence. Les personnages des tableaux s’évadent. Une lampe s’allume avec des phrases autour. Il y a partout des bruits de porte, le souvenir du bois. On invente mille raisons d’ouvrir les fenêtres. Les mots donnent la chair à ce qu’on ne sait pas.

Sous les cheveux du toit, les lucarnes ouvrent les paupières. Le silence est habité. Les rêves sautillent à pieds joints sur les étagères. On entend les mulots chicoter dans les murs, des raclements de voix, des vêtements qui bruissent, l’eau de pluie sur la tôle, le chuintement des effraies. Tous les miroirs tournent de l’œil. Les vestes bougent au dos des chaises. La patère du coin soulève les chapeaux pour saluer la nuit. Un gant vide sur le sol semble bouger les doigts et quêter des caresses. Le fracas des hommes vient remblayer les vitres. Même en sachant que tout s’efface, l’homme ne s’habitue pas à disparaître. Il se donne en pâture au regard des choses.

La poussière dans les coins rejoint le bout du monde. Un arbre parle à ses racines. Un simple pot de fleurs est une île aux fantômes. L’émail de l’évier fait appel au soleil. La dentelle des rideaux est une roselière. Des aiguilles hantées font sursauter l’horloge. J’entends gratter le chat égaré dans ses rêves. J’entends venir la peur, le vent des bêtes mortes affirmer sa présence. D’immobiles regards me suivent dans la cave, l’iris moiré d’une âme, une flûte enchantée dans la galerne verte. Les blancs entre les lignes grattent la peau des mots. D’invisibles sillages frémissent dans la nuit.

Sous l’œil mendiant du chat, je n’ose plus laper dans la soupe du jour. Les bouillons de gras me regardent comme des balles. Les murs, porteurs des vieilles odeurs, se dépouillent des échardes du temps, des peintures anciennes, des dernières pénombres. Les meubles jasent entre eux dans une langue de bois. Le cœur bat au rythme d’un vieux poêle. Les mouvements du temps se heurtent à l’immobilité. L’hiver sous la glace bâillonne les prières. Le froid pénètre la terre, la pourriture des choux, l’entêtement des pommiers, l’entrebâillement des brumes. Le rêve suinte sur la cruche de grès. On frappe à la fenêtre. Les coups viennent du dedans. Tapi derrière les rides, le vieil homme veut sortir.

 

Publié dans Prose

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