Au fond de la mémoire 1
Les lucioles clignotent comme des galaxies. Avec des poings d’enfant, je taille le silex au fond de la mémoire. Je reste seul à veiller sur le feu. Je pose sur la page des images oculaires. En pleine solitude, ce sont les mots qui me regardent. Le décor chavire. Le monde se renverse à la vitesse de l’encre.
Nous sortons de l’hiver. La terre lovée au fond des yeux va rejoindre les bêtes. Les fragments du puzzle vont retrouver leur place. Les collines redressent la ligne d’horizon. La paille des épouvantails retrouve sa chaleur et les oiseaux reviennent picorer leur chapeau. Le vent repasse les chemises des arbres. Nous pourrons vivre enfin sans porte ni fenêtre.
Un arbre est effondré sous les draps de la neige. Les insectes déjà y creusent des galeries. Parmi les nids défaits d’autres œufs vont éclore. Les végétaux qui semblaient vides de vie s’animent de nouveau. Des racines aux feuillages, les graines recommencent la route verticale. Les grandes mains des arbres apprivoisent la pluie. L’éclat des pierres se conjugue au printemps des étoiles. Des parfums de lumière se mêlent au romarin. Le ruisseau vague à vague va réparer ses digues. La vie reprend ses droits, la fleur ses pétales.
J’ai un jardin sous les paupières. Je le dessine en mots sur la page du silence. Le soleil y caresse le sexe de la terre. La bouche de la pluie y dévore les pierres. Les murs ont des oreilles. Les clôtures s’enfuient au moindre chant d’oiseau. Le blanc des yeux rougit sous la caresse des images.
Le pollen donne raison au vent. Ou est-ce le contraire ?
Des histoires de fées sommeillent sur l’oreiller de l’aube. La rosée distribue des étoiles aux petites fleurs des champs. Chaque nouveau matin est une école de lumière. Chaque jour est une toile attendant les pinceaux, les couleurs, le cœur, une poignée de bonheur, une simple accolade, le rire d’un enfant, la chiquenaude du soleil déridant l’horizon.
Où est passée l’odeur du lait et de la paille ? J’écris contre l’oubli avec une gerbe de mots simples, des images bancales sentant la rouille et la sciure. Je remonte vers le pain et la rondeur des grains, les greniers d’écureuils, la tanière des loups, les heures graves et lentes, la fraîcheur des sources et la vigile des hiboux. Malgré mes joues tout lisérées de blanc, je suis resté l’enfant poursuivant les fourmis jusqu’à leur château-fort.
La montagne derrière a l’air d’une vieille dame assise pour prier. Le jour se lève sur ses épaules. Le vent s’ébroue sur ses genoux. Le ciel mâche l’orage et crache des nuages. Chaque pistil épèle la couleur des fleurs pour les abeilles aveugles. Au pourquoi de la vie, chaque ventre d’oiseau apporte la réponse.
Il ne suffit jamais de regarder le monde, il faut apprendre à voir. C’est l’enfant qui féconde cet homme qu’il devient. Ses mains s’agitent au bout des bras comme des tournesols qui tournent à l’envers. Il ne sait pas encore ce que c’est que d’attendre. Il pousse dans l’urgence des sourires ou des cris qui deviendront des mots.
Dans cette terre plantée de pelles poussera-t-il des murs ou des jardins ? Poussera-t-il des fruits dans le pommier, des larmes dans le saule ? Poussera-t-il des hommes ou des robots ?