La peau dure

Publié le par la freniere

La vie a la peau dure mais le cœur trop tendre. La jeunesse est en deuil de sa propre jeunesse. À tant vouloir voler, on se ronge les ailes. À tant vouloir franchir le fleuve, on ignore les rives. On ne fait pas le plein dans un enfer de vide. Des robineux grelottent dans le temps bête et la tempête, dans le carnage et le carton. Ils rêvent pour la jungle d’un sourire de guenon, de mots d’amour indécodables par les ordinateurs et d’un grand oui sonore contre le mur du non. Les narines du rêve sont rongées par la coke. La pierre respire à peine sous la poussière toxique. Les oiseaux se cachent dans leurs ailes et ne savent plus voler. Je perds le fil de jour en jour. Fait-il beau quelque part, là où la lumière du jour n’est pas prise en otage ?

On parle. On parle. On ne dit rien. La mort télévisée dénature le sang. Que faut-il dire à ceux qui vont mourir refoulés aux portes des hôpitaux, prisonniers de la faim, entassés dans la merde. Les fillettes d’Asie ne sucent pas leur pouce mais la queue des touristes. Elles ne jouent plus à la poupée. Elles accouchent sur du papier journal. De plus en plus d’enfants naissent dans les dépotoirs. Ici, on préfère nourrir les écureuils, les caniches et les chats dans les banlieues climatisées. On dilapide le soleil dans la neige carbonique. Les abeilles butinent des fleurs vénéneuses. La peau des pôles se desquame.

Il n’y a plus d’humains. Il y a des Noirs, des Blancs, des Chinois, des Arabes, des Juifs. Il y a des riches, des pauvres, des obèses, des maigres comme si le même sang n’irriguait plus les veines. J’achète donc je suis. Le cancer de l’argent contamine la vie. Nous sommes des statistiques pour la consommation, de la chair à canon, de la poudre à curés, quelques têtes qui sautent dans les dommages collatéraux, des graffitis indésirables aux devantures des banques. Entre les signes et la vitesse, il n’y a plus de place pour une vieille brouette tendant ses bras au vent qui passe.

Publié dans Prose

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