Je n'ose pas parler de Dieu
Je n’ose pas parler de Dieu. Toutes les religions ne sont que des blasphèmes. J’adore la pierre et l’herbe verte, la cigale et la fourmi, la sève et l’eau d’érable, la tomate et la neige, la salive et le sperme. J’oscille comme je peux entre les mots de Spinoza et la prière des shamans. J’ai des os de silex sous une peau de poésie, un corps de cristal sur des jambes de pierre. Qu’importe qu’on se moque si je dessine un arbre qui se croise les bras, que ma danse des pluies amène le soleil, j’écris pour célébrer la vie et saluer le ciel. Je ne tends pas la main aux faiseurs de monnaie mais au chant des oiseaux. Je ne tends pas le dos pour le fouet. Je tends ma joue pour le baiser. Je ne tends pas la main aux banquiers qui sourient un couteau dans les dents mais aux femmes qui allaitent, aux soldats qui désertent, aux enfants qui résistent.
Si la plupart de mes textes ne tiennent pas la route, c’est qu’ils ne sont pas faits pour rouler sur l’asphalte Ils ne sont pas écrits pour les grilles d’analyse et les compteurs de mots. Ils sont faits pour marcher en forêt ou gravir les collines. J’ai des pas dans les yeux et des regards dans les pas. J’ai des mots dans les mains et des doigts sur la page. Je m’accroche aux images comme une fleur à sa tige. Sans cesse des encanteurs nous guettent, la voix sur le micro, le doigt sur la gâchette, la faim sur les talons, la foi dans les affaires. J’ai vu des statues de sel, des âmes en peine, des hommes à genoux mais pas un Dieu dans une église. J’ai vu des rêves en plexiglas, des cœurs à vendre, des corps à louer mais pas le bonheur dans une banque. L’individu coincé entre les chiffres d’un budget cherche son âme en vain.
Les enfants de la guerre jouent à la roulette russe comme d’autres à la Bourse. Ils ne voient plus le ciel. Les avions volent trop bas. Ils ont peur de la terre à cause des champs de mines. Ils ne lancent plus de ballon à cause des snipers. Ils boivent l’eau de source pleine de produits toxiques. Ils crachent leurs poumons et leurs dernières dents. Ils ne rient plus jamais et n’osent pas pleurer. Ils ne rêvent pas non plus. Ils s’éveillent en sursaut rapport aux cauchemars. Quand passent les oiseaux, ils n’envoient plus la main de peur qu’on la coupe. Ils ont faim. Ils ont soif. Quand on cherche la chair, on ne trouve que l’os. À défaut de pain, tous les petits poucets ont rongé leurs cailloux. Ils ont mangé leurs bas et s’en mordent les pouces.
Depuis qu’on a coupé la langue aux conteurs d’histoires qui nous racontera la naissance du monde, les légendes, les contes ? On a tué les gnomes, les loups, la moitié des oiseaux. Les mots se meurent noyés dans les annonces de bière. Le sens se perd peu à peu. La liberté est une marque de yogourt. La tendresse est le nom d’une couche. La révolution est une crème antirides. Le sang se cherche entre les lignes. Malgré tout, les larmes de la terre forment un lac si bleu, les ailes des oiseaux s’entêtent à caresser le ciel, des étoiles s’allument à chaque jour plus belles, la rosée fait des perles sur la peau des fougères.
Où que l’on aille, le premier pas est toujours le plus loin.