Les mots en porte-voix

Publié le par la freniere

J’écris les mots en porte-voix dans les flammes du vent. Je porte dans la nuit un crayon de soleil pour éclairer la route. J’écris n’importe quand, n’importe quoi, n’importe comment. J’arrose de rosée les marchands de mazout pour qu’ils fassent faillite. Je n’écris pas de mots sur la langue des riches. Je ne marche pas dans les rails des suiveurs ni les pas des vainqueurs. Je relève les vaincus qui tombent sur le cul. J’enflamme l’eau d’érable dans les cabanes à sucre. J’arbore ma jeunesse sous le gilet des rides. N’ayant plus que des phrases pour unique salaire, à chaque fin de mois, je dois courir plus vite que mes créanciers. Ils n’encaissent pas les cicatrices sur mes chèques de peau. Je n’ai plus qu’un nuage pour décrire le ciel, la clef des champs pour payer mon loyer, une brouette en bois pour traverser le temps, une pompe à bécique pour imiter le vent, un long manteau d’images pour affronter le froid, le mot pain pour pitance.

Je tatoue l’infini sur les bras des girouettes. Je grave un cœur de feu sur l’écorce de neige. J’efface l’heure des cadrans pour en faire une route. Je m’accroche aux mots pour ne plus toucher terre. Les phrases grimpent dans mon corps, des orteils à la tête. Elles passent par le cœur, les muscles, les artères avant que de se dire. Je ne vois pas les choses. Je vois ce qu’elles regardent. Je ne dis pas les mots. Je dis ce qu’ils écoutent. Dans le galop des phrases, je ne serai jamais que ma propre monture. Personne n’acquittera en mon nom la facture de vivre. Je jette l’amour à la volée sur le dos des abeilles, des chevreuils, des loups. Je ne fais pas du temps un musée d’affection mais de la terre à tendresse.

J’habite le réel mais je vis dans le rêve. Je ne suis pas plus d’ici qu’un écureuil en cage. Je garde pour l’été une plaque de neige, quelques fleurs en hiver sous la laine des mitaines, des mots aux bras croisés sur le bord d’une page, quelques miettes de vie pour les morts de passage, un verre sur la table, une attelle de chair pour les cœurs brisés. Je m’appuie sur ma faiblesse pour soulever la terre. J’ai l’âme vagabonde, le cœur d’un gitan. Mon corps est une caravane dans le désert du monde. Le moindre chant d’oiseau me sert d’oasis.

Publié dans Prose

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Merci de ces mots de "Pain" !