Seul
Le vent souffle dans les halles du marché couvert. Malgré cette odeur de mariage, le vent est incisif et il fait froid. Les villageois discutent, tout le monde est content, du moins pas mécontent, au pire certain s'ennuient un peu. J'ai déjà trop bu. Toutes les voix autour de moi s'entremêlent comme un bon vieux nœud de serpent. Mon grand père est assis au milieu de deux cent personnes debout. Je viens de le remarquer, seul, sur une chaise de camping au centre de la salle. Il est immobile, ce qui provoque en moi une drôle d'impression contradictoire avec le brouhaha alcoolisé. Il est trop vieux pour rester debout et trop sourd pour discuter alors il reste là. De temps en temps, quelqu'un vient s'asseoir à ses côtés et échange quelques mots et quelques signes de tête. Je voudrais y aller mais je ne sais pas quoi lui dire. Avant je me disais qu'il était con, ou dur, ou beau, ou gentil. Avant je ne lui parlais pas beaucoup non plus mais tout allait bien. Avant il m'impressionnait. A présent il est vieux, immobile, et il s'éloigne du monde avec discrétion. Il est déjà un peu parti. Pourtant lorsqu'il sourit, je retrouve le visage familier de mon enfance. Je voudrais prendre une chaise et m'asseoir, le lancer sur un sujet qui lui fasse plaisir et le rende loquace. Je voudrais y aller, le prendre dans mes bras et répondre à son sourire perdu, mais je sais qu'il est trop tard. Quand je le vois, je vois la mort et elle me paralyse. Et je reste là, tremblant dans l'air froid, juste capable de boire encore, au milieu des gens qui s'amusent.