Comme une montre molle

Publié le par la freniere


Quand je ne marche pas sur le dos de la neige, je lézarde au soleil, le ciel jamais trop loin, les oreilles aux aguets, des mots sur un tronc d’arbre, un cahier sur la pierre. Rien de trop près ni de trop loin. Le monde peut tourner sur le pivot d’un doigt. Un seul mot dilate une phrase tout entière, le mot chérie, les mots je t’aime. On n’ouvre pas sans peine le cœur d’un noyau de pêche. Il faut à la voix le réceptacle d’une oreille, une paume à la main, une bouche à la pomme, une amande à l’écale. Les sens se renforcent les uns avec les autres mais le regard se fait seul. On peut voir avec les yeux fermés. On ne peut pas toucher sans le secours de la peau. Toutes les saisons se touchent avec le bout des doigts. Il vient toujours un temps où le futur se fait présent dans le passé qui reste.


Je ne veux plus traîner le temps sur mon dos comme une montre molle. L’aiguille des parcomètres marque l’heure des villes. Ici, je n’ai besoin que des aiguilles de pin, du passage des cerfs ou de l’odeur du pain. Je préfère les mésanges aux mouettes qui mendient dans la merde du monde. Le ciel se nourrit du vol des oiseaux. La terre s’alimente de la putréfaction. Les autos qui filent entre les viaducs n’effaceront jamais les traces des dinosaures. Je perds des mots partout. Je perds de la salive, du sang. Il me faut rassembler les mailles du filet, mot à mot, une phrase à l’envers, une phrase à l’endroit. Je remonte la pente, du soubassement des choses à la peau des nuages. Chaque pas peut être le premier. Chaque mot peut être le dernier. Chaque mort peut être le début. Dans cette vie de bougie, le vent passe trop vite. Le temps bouge et l’éteint.


Même sans beurre sur le pain, je n’en finirai pas d’écrire, rendant son aile à la cigale, tendant la main aux amoureux, redressant l’espérance empêtrée dans ses bas. J’accueille dans ma danse les petits pas de l’eau. Je vais de cercle en cercle, au seuil de chaque seuil, en marge de chacun. Qu’ils soustraient la douleur dans l’équation humaine ou qu’ils crachent l’angoisse, mes mots dansent ou trébuchent dans leur propre foulée. Le temps les raccommode ou les brise davantage. Lorsqu’un enfant réclame quelqu’un qui n’est pas là, il commence à vieillir. Tout à l’heure, il mourra frappé par un camion et je ne peux que regarder comme les anges de Wenders. Je n’ai jamais vraiment compris la vie. J’en cherche encore le sens mais tant de mots m’échappent et roulent comme des billes.


Le monde vacille et change. Les jeux sont déjà faits. Tous les jours j’écrirai des poèmes pour me sortir du livre. Je bats des ailes avec les oiseaux. Un sourire voyage toujours d’un visage à l’autre comme les bras d’une accolade. Même si tous les feux deviennent cendres, je frotte des cailloux pour réchauffer ma vie. Je tourne mon crayon dans la paille des mots. J’offre mon corps au vent et mon âme à la terre. Ais-je oublié mes rêves dans la valise du cœur, avec les mots d’amour et ma dernière chemise, les feuilles en forme de cœur et les trèfles à quatre feuilles ? Ais-je perdu ma montre dans l’espoir d’un temps meilleur ? Ma colère est une ville que j’ai laissée derrière. L’humilité est d’abord une façon d’aimer. Le temps produit le temps, l’espace son espace. La tête dans le ventre et les yeux dans la tête comme avant la naissance, il faut savoir aimer jusqu’au fond de sa haine, prier sous les crachats, les injures, les cris, concentrer son espoir dans la liberté  et redresser l’échine, le cœur plus près des lèvres, le rêve sur le dos, la révolte à la main.

 


Publié dans Prose

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