Raconter
Écrire, je commence par un caillou, un grain de pluie, une plume abandonnée par une grosse poule blanche, une cabane à outils, rousse et mal fermée, une chatte qui transporte ses petits. Une fleur d'amandier fait aussi l'affaire, mais fleurie, pour l'odeur de miel. C'est l'automne qui vide les armoires à feuilles au point qu'on se demande comment l'arbre passera l'hiver après ces cambriolages. C'est Émily Dickinson seule dans le jardin, et dans l'écriture justement. Un chien qui aboie, qui doit avoir vu quelque chose. C'est le mot capturé, échappé, perdu, et son blanc que rien ne peut combler. C'est le joli balayé à cause du clinquant, qui aveugle. Et aussi le pas de la porte, plein soleil sur la pierre brûlante. Et le feu qui s'arrête devant le camion des pompiers. Et tous les poissons de la mer. Écrire, je ne fais rien pour, ni contre, rien d'autre que regarder, et raconter.
Ile Eniger - Un cahier ordinaire