Des vagues entre les mots
Nous naissons tous entre les jambes d’une femme. Nous gardons son odeur imprégnée dans la peau. Sans conter d’histoires, je transpose mes jours dans la matière des mots. J’écoute le son des métaphores dans le feuillage des pensées, le bruit des mots sur le papier. Il y a des vagues entre les phrases, des routes, des frissons. Peu importe les phonèmes, les couleurs, les sons, j’écris toujours avec mon enfance au bout des doigts. Les racines se gavent de la mémoire terrestre, au limon du bois mort, à l’humus des fruits. Selon qui le manie, même un fétu de paille soulève la tempête. Une montagne peine à rejoindre la source.
J’irai chercher l’espoir au fond des détritus. J’irai jusqu’aux racines sous la terre malade. Je ferai de leurs croix des bûches pour le feu. Je volerai leur pain pour les bouches à nourrir. J’irai chercher la sève au fond des arbres morts, les couleurs sous la cendre et le soleil en embuscade sous la rouille. Je ranimerai l’hiver les braises inconsolables. J’écosserai les heures pour qu’elles s’ouvrent en fontaines. J’offre des pommes volées à qui veut bien les mordre. Ce qui importe relie les pôles, les chercheurs de lumière, les porteurs de mots, les partageurs de bonté, les portageurs de sons, les teneurs de promesses, les images greffées au cœur, le feu complice du gel, les désirs aux aguets, tout ce qui prend de l’aile au passage des oiseaux.
J’écoute l’inaudible, les parfums, les odeurs, la fanfare des images, les chenilles en cocon préparant leur couleurs, le mouvement du vent sur la beauté qui passe et les herbes qui poussent, même les fleurs séchées dans un pot de confiture. La moindre fleur qui s’ouvre me redonne courage. Chaque nanoseconde vient mordre le vieux mollet des siècles. Les jambes de l’enfant s’allongent quand il grimpe aux arbres. À mesure qu’il monte, il découvre ses bras, ses mains, ses doigts, le sens profond des branches. L’enfant ne compte pas ses dents pour mordre dans la vie. Chaque pain sur la table est la réplique d’un soleil.
J’abandonne mon ouïe à la cymbale des oiseaux. Le moindre poil de bête, la moindre fleur des champs, est plus cher à mon cœur que les hommes d’argent. Je me promène à l’aise à l’écart des rues, dans la rumeur des plantes, les cheveux dans les yeux, des guêpes sur le cou, des ronces dans les mains, des framboises à la bouche. J’entrevois l’infini dans la tendresse ridicule d’un brin d’herbe. Chaque feuille d’un arbre a le visage de l’homme mais l’arbre contrairement à l’homme ne renie pas la sève. J’apprends la vie par le noyau, le ciel par la terre, la parole par la chair. Chaque mère survit dans un ventre d’enfant guidant ses pas jusqu’à la mort. Ses paumes sont un bol pour tous ceux qui ont soif.