Maurice Blanchard

À propos de Maurice Blanchard (1890-1960), il est convenu de dire que le poète des Barricades mystérieuses fut lu de son vivant par moins de cent lecteurs. Lesquels, tout de même, se nommaient Paul Eluard, André Breton, Benjamin Péret, René Char, Joë Bousquet, Julien Gracq, Gaston Bachelard, Edmond Jabès, André Pieyre de Mandiargues, Hubert Juin, Henri Parisot, Marcel Béalu… Mais combien d’écrivains pourraient se vanter d’avoir touché autant de plumes fameuses ?
Maurice Blanchard avait été apprenti serrurier, maréchal-ferrant avant de devenir ingénieur-mécanicien spécialiste en résistance des matériaux puis de dévaler la pente d’une poésie qui brûle les doigts. Car il y eut les hydravions Blanchard comme il existe une écriture de résistance, à contresens des combats de rue, toute blottie dans le poing des mots.
La rage est synonyme de ce nom méconnu que l’on peut ranger, sans attiger, entre Rimbaud et Lautréamont.
« Vivre : c’est la guerre ! »
Le ton est donné.
Maurice Blanchard composa de 1929 à 1955 une poésie de constat amer. D’un lyrisme où souffle le sable, les ajoncs et quelques hallebardes. Avec un titre comme C’est la fête et vous n’en savez rien (GLM, 1939) on s’attend à des éclats d’ébriété, ce sont brisants qui écorchent les yeux, vagues bien effilées de mots coupants à tous les coups.
Et quel style ! Celui du porphyre qui vibre.
Pour en toucher la pulpe, lisez Les Barricades mystérieuses (Poésie/Gallimard, 1994) et La Hauteur des murs que les éditions Le Dilettante viennent de mettre en vente avec une excellente préface de Vincent Guillier.
La Hauteur des mursavait paru en 1947 chez Guy Lévis Mano (GLM) et, en 1979, les éditions Plasma placèrent le recueil à la suite de C’est la fête et vous n’en savez rien.
On peut affirmer qu’il s’agit là du meilleur de Maurice Blanchard. Textes puissamment contenus, ramassés, concis comme des traits qui vont exactement au but.
En fin de volume, Vincent Guillier propose deux inédits.
Guy Darol
Aux éditions Le Dilettante :
La Hauteur des murs, 2006.

Chez d'autres éditeurs :
Les lys qui pourrissent, Imprimerie Girault, 1929, publié sous le pseudonyme d’Erskine Ghost.
Malebolge, éditions René Debresse, 1934.
Solidité de la chair, éditions René Debresse, 1935.
Sartrouville, éditions René Debresse, 1936.
Les Barricades mystérieuses, GLM, 1937, avec un frontispice de Lucien Coutaud.
Les Périls de la route, GLM, 1937.
C’est la fête et vous n’en savez rien, GLM, 1939.
Les Pelouses fendues d’Aphrodite (in « les pages libres de la Main à Plume », 1943), avertissement de Noël Arnaud, frontispice d’Yves Tanguy. Repris dans La Hauteur des murs.
William Shakespeare : douze sonnets, traduits de l’anglais et présentés par Maurice Blanchard, éd. Les Quatre Vents, 1944. Repris par GLM en 1947.
La Hauteur des murs, GLM, 1947.
L’Homme et ses miroirs, éditions Le Cormier, Bruxelles, 1949.
Le monde qui nous entoure, La Part du Sable, Le Caire, 1951.
Le Pain la lumière, GLM, 1955.
William Shakespeare : six sonnets, texte anglais avec deux traductions de François-Victor Hugo et Maurice Blanchard, GLM, 1970.
Les Barricades mystérieuses, suivi de Les Périls de la route, préface de Paul Éluard, GLM, 1974.
Débuter après la mort, Plasma, 1977, textes réunis et présentés par Jean-Hugues Malineau, préfaces de Jean-Michel Goutier et Fernand Verhesen, lettre de Gaston Bachelard. Recueil comprenant : Malebolge, Solidité de la chair, Sartrouville, L’Homme et ses miroirs, Le monde qui nous entoure, Splendeurs et misères (inédit) et des textes publiés dans des revues. Cent exemplaires ont été tirés à part pour le compte des éditions Commune Mesure.
C’est la fête et vous n’en savez rien, suivi de La Hauteur des murs, Plasma, 1979.
Les Barricades mystérieuses, préface de Pierre Drachline, Plasma, 1982. Recueil comprenant : Les lys qui pourrissent, Les Barricades mystérieuses, Les Périls de la route, William Shakespeare : douze sonnets, Nous autres sans patrie, le Pain la lumière, et des textes publiés dans des revues.
L’Homme et ses miroirs, Arcane 17, 1982, avec un frontispice de Francis Mockel.
Antarès, illustré par Erika Magdalinski, éditions du Rouleau libre, 1991.
Les Barricades mystérieuses, anthologie de textes présentés par Jean-Hugues Malineau, Poésie/Gallimard, 1994.
Danser sur la corde. Journal 1942-1946, présentation et notes de Pierre Peuchmaurd, éd. L’Éther Vague, 1994.
Les grandes orgues de la destruction, les orages et les vagues de la mer éternellement jeune, voilà l' entrée triomphale de la justice déferlant sur vos châteaux en Espagne bâtis sur le vent, sur la chair et le sang sacré des êtres créés et non créés.
La vermine est au sommet de la tour, les reliques du son et de la lumière ont été jetées au fond de l'abîme; elles gisent dans la boue du marécage parmi les crapauds mutilés. Ces choses immondes justifient notre présence. Elles ont combattu, horriblement combattu, chacune dans sa noire, intemporelle et humide solitude et nous voici devant notre ouvrage, devant nous-mêmes et non pas le septième jour, mais l'unique, l'immuable, l'éternel premier jour.
Après chaque moisson, il incendiait les récoltes. Puis, il gravissait le torrent desséché, la seule route de ce pays, tombeau de la patience. C'est la vie aux yeux crevés qui frappe à la porte.
Le récitant ouvrit les bras. Un silence de neige se posa sur les épaules du passé, squelette de chien. Sur la peau du village effondré se dressèrent les quatre murs de la haine.
Les assassins dormaient sur la plage dans l'attente des faillites nouvelles. Insensible aux morsures de la Mort, un nouvel été flambait sur la montagne.
Il y eut promesse de mariage entre le vent et la neige. La neige et le vent échangèrent leurs anneaux et le navire, ganté de givre, entra lentement dans la cérémonie des amours. Il entra lentement dans la saison des attendrissements.
Le bonheur est immobile sur la crème d'un nuage, c'est une lumière qui gèle et qui casse. C'est un buisson de lis avec des serpents violets qui se glissent entre le crépuscule et la mer, qui se glissent dans l'herbe sanglante du crépuscule.
Le fouet claque et déchire la neige du premier amour. Le repas du fauve s'achève dans le sang des orchidées.
La mémoire naquit d'un coup de bâton. Le temple fut profané par ceux qui travaillent avec les mains, par ceux qui travaillent avec les pieds. Et ce fut le matin, et ce fut la nuit pour ceux qui ont faim, pour ceux qui rêvent et pour ceux dont le cœur a ses raisons.
Je me sauve. Comprenez-le comme vous voudrez, le miracle est là, derrière la porte. Après la guerre, ce fut la guerre et maintenant c'est la guerre et c'est la lutte impitoyable des crocodiles sous la voûte du cerveau. On déchire dans tous les sens les images de soie et d'or, on rêve de bonté, on marche sur les oiseaux. Et quel silence!
Il vit dans les flammes. Il ne se brûle pas, la réalité le protège. Le hasard est son maître, et la mort sa passion. La compassion, c'est la pire injure et vous ne pouvez rien, ni pour lui, ni contre lui . Surtout ne le plaignez pas, il vous tuerait! Ce fut un enfant abandonné sur un fagot d'épines. Ce fut un adolescent sans espoir et sans lumière. Ce fut une taupe dans son royaume souterrain et la terre lui fut un refuge contre la bassesse du ciel. La cause première des orages c'est le vent qui rend les cavales folles, elles aussi. C'est le vent qui emporte les arbres au paradis. Les arbres, la fleuret la semence. Et les serpents aussi. Ceux qui font que notre cœur éclate.
Maurice Blanchard