La prière
Les combats ont repris en Irak. On parle d'une guerre plus humaine. La haine et la mort sont les mêmes.
1
La prière n'a plus de mots.
Elle éclate en rafales
et coule des blessures.
Le pain s'émiette en poudre noire.
Il y a trop d'épines
dans le pollen et les pétales.
Les abeilles s'égarent
et butinent la cendre.
Les chiens n'aboient plus
que d'une patte
et c'est celle qui manque.
L'enfant monte en tremblant
l'escalier de la vie.
Il n' y a plus de marches
mais du fil barbelé
qui lui blesse les pieds.
Chaque voisin est une cible
s'il parle une autre langue.
On meurt même deux fois
pour la télévision
sans revenir à la vie
après les commerciaux.
À l'autre bout du monde
l'ordinateur détecte
le moindre grain de blé
mais les avions fantômes
arrachent de vrais bras
sur les champs de bataille.
L'homme a l'espoir têtu.
Terré dans un abri
il écoute encore
les prévisions du temps.
La lune pendille sur sa tige
comme une fleur de sang.
Les oiseaux déplumés
ne portent plus de lettres
mais des avis de décès.
Une voix frêle se lève
au bord de mon stylo
de l'encre sur les dents.
Le miel est trop amer
pour dorer la pilule.
Nuage noir sur un ciel noir
la prière s'élève
sans amour et sans mots.
2.
On a beau vivre dans les mots
on ne peut oublier
ceux qui vivent dans la mort.
Un même sang coule en nous.
Une vieille femme habite
dans le cœur des enfants
et le plus vieux berger
garde encore à la main
l'orgueil d'un jouet.
Le cri du premier homme
est le même qu'on lit
sur les ordinateurs.
Certains écrans du web
sont des grottes de Lascaux.
Des nuages de poussière
voyagent vers le texte,
ce sont les mots qu'on a brûlés
dans les bibliothèques,
des signes pleins d'éclats
ou trop lourds de sens.
Des balles à la parole
les oreilles pourfendues d'explosions
continuent d'écouter
pour entendre chanter.
Dans l'âtre de l'espoir
c'est l'argent de la mort
qu'il nous faudra brûler.