Avec des pas d'angoisse

Publié le par la freniere

À jamais différent de ceux nantis de tout, je reste ce rebelle indomptable, un vieux cheval rétif échappé du manège. Je m’ajuste à la terre avec des pas d’angoisse. Du trotte-menu au trot, je galope à l’estime et traverse les ombres. À défaut d’une chaise, je resterai debout parmi les arbres. Le poids du monde sur les épaules n’est pas une affaire de biceps. On est tous des roseaux dans la marée des hommes. J’écoute avec la main le tremblement des arbres. Je touche à la pensée des feuilles. Le merveilleux fuse de chaque parcelle de terre. Il suffit de regarder avec des yeux plus grands. Quand je me dis poète, c’est une façon de parler, d’apprivoiser ma langue. Je voudrais bien dresser un point final devant les poings d’horreur, troquer les bras d’honneur pour des caresses intimes. Où les autres s’échinent à penser, j’essaie de voir jusqu’au précambrien, de vivre dans l’aïeule, de mordre dans les mots. J’écris avec les voix de la forêt, celle des hommes disparus, les accords inédits, la chair du silence. Je dois être seul pour écouter de la musique. Je ne veux pas qu’on lise mes pensées. Pourtant, il m’arrive souvent d’écrire parmi la foule. Peu importe ce qu’ils disent, les mots ne parlent que d’eux-mêmes. Les choses que l’on nomme, la main les connaît déjà. Quand il m’arrive d’effacer une phrase mal écrite, le monde me semble plus léger. La vie est une leçon de choses dont on corrige les copies.

 

Dans la cour d’en arrière, l’ombre d’un orme s’étire comme un chat. Le vent miaule entre ses branches. Ce qu’on admire de loin ajoute à la distance. Il faut le voir de l’intérieur pour pouvoir y toucher. Le goût est une chose intime. Exilé dans mon propre peuple, je suis d’un pays encore à naître. Je reconstruis ma hutte d’une matière imaginaire, à ma propre manière, sans drapeau ni bannière. Je suis un homme de glace retrouvant sa chaleur sous l’écorce d’érable. L’art de vivre longtemps suppose que les secondes rêvent. Les minutes qu’on compte sont celles qui vieillissent. Les rêveurs ne souffrent pas du rêve mais du manque de rêve. Le monde ne souffre pas des hommes mais de leur manque de partage. La plante reste fidèle à la terre où elle pousse. Sur le miroir des fleurs, le soleil et la pluie ont le même visage.  Les mots sont à l’homme ce qu’une feuille est à l’arbre, mais qu’en est-il des fruits ? Pour toucher à la vie, ce qui importe, ce n’est pas ce qu’on pense en général mais le singulier de chacun, ce n’est pas le réel mais le rêve, ce n’est pas la barque du charron mais la rivière qu’elle traverse. La géométrie importe peu. La surface est dans la main qui imagine. On n’écrit pas avec sa tête mais son cœur. Il faut trouver une âme au fond de chaque chose. Ce que j’appelle une âme demeure l’inconnu qui donne un sens à tout. Si l’on pouvait nommer chaque pierre, chaque brin d’herbe, chaque chose, il n’y aurait plus rien. J’écris par ignorance. J’écris comme une éponge qui absorbe les mots. C’est d’une virgule à l’autre que je dégorge la vie, la douleur, la joie. Chaque mot de la chair est une goutte de sang quand la parole est dite avec le cœur aux tripes. L’espace n’est pas l’espoir, le temps n’est pas la vie, mais les deux sont la route où se forment les pas. J’écris avec mes pieds. Que voulez-vous que je dise à part oui à la vie, à part non à la banque. Je ne compte pas les sous mais les battements de cœur.

Publié dans Prose

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