Comme des silex

Publié le par la freniere

 

L’oiseau ne chante pas pour le plaisir de l’homme. Il avertit les siens de la menace humaine. Notre présence au monde n’est pas dans l’efficacité des gestes mais le regard qu’on lui porte. Le merveilleux peut naître de partout, un sourire, une main, une pomme tombée dans le panier du cœur. Des mots frottés comme des silex, il peut jaillir une étincelle. Cette lueur suffit pour nier le néant. Une lumière fait la taupe au milieu des ténèbres. La main qui écrit est une main ouverte. Elle affronte l’abîme. La vie est une métaphore. Je ne veux pas soustraire mais compter les étoiles sans tricher sur le nombre. Les mots creusent des puits au milieu de la soif et construisent des ponts avec des petits riens. J’avance parmi les fleurs avec le nez au bout des pieds, les yeux en arrosoir, des doigts d’abeille au bout des mains. Des larmes coulent entre les lignes. Ais-je bien vu un arbre me sourire, un oiseau me narguer, un mot faire à sa tête au milieu d’une phrase ? J’ai pris l’habitude de regarder le monde avec les mots. Ils sont à la fois mes yeux et mes oreilles. J’entends les choses du bout de mon crayon. Quand je ferme les yeux, je lis entre les lignes. Le monde que je vois est constitué de lettres, de signes et d’images verbales. Il m’arrive aussi de les voir en musique, d’en dessiner les notes à l’encre de couleur. On ne revient pas de voyage. Tous les chemins mènent au voyageur. Les pas forment la route.

Quelle voix se glisse dans ma voix qui ne soit pas la mienne ? Quelle ombre dans mon ombre m’écrase de son poids ? Quand les affaires sont ketchup pour les grosses poches de la finance, il y a toujours un ministre, un député, un maire, un col-blanc qui se graissent la patte en dessous de la table. L’économie rend sourd aux battements du cœur. Il n’y a rien de bon que les fusils défendent, ni l’argent dans les banques,  ni le pétrole dans les chars, ni les chefs dans l’état, ni les clefs dans les poches, ni la voix des prophètes. Je croirai à la vie quand l’homme deviendra l’homme relevé de sa chute. Tout a l’air d’avoir peur. Tout a l’air trop factice. Je ne veux pas mourir dans une vie d’objets. Je ne veux pas finir comme une bête à haine. Je ne veux pas d’un monde liberticide, de l’offre et la demande, des lois du marché, des règlements de compte, des censures et des mesures de guerre. Je refuse l’enflure de la haine, la gerçure du cœur, la parlure des gâteux, la pâleur des écrans, le flic dans la tête et le fric à tout prix. Les anges à mes côtés ont les ailes brûlées et les yeux des enfants ont les pattes cassés.  Les jours sans poème ont des mains qui se ferment. Leurs doigts saignent sans fin aux murs des asiles. Je me méfie des hommes qui marchent sur les eaux. Je marche sur les mains pour embrasser la terre.

Je ne suis qu’un érable dont on tire le sucre, la colère des mots sous une écorce douce. Je cherche l’eau du cœur sur les sables émouvants, une braise sous la neige, une phrase vivante sous les papiers glacés, une goutte de lumière dans l’eau à bout de force, le baiser de Judas qui a compris la suite. Jésus n’aurait pas dû se prendre pour un Dieu. Les sépulcres blanchis en ont fait une icône. Quand les seules boites à malle sont celles du profit, les lettres d’amour ne se rendent jamais. Il ne faut pas voir la vie comme étant le contraire de la mort. Les deux servent à nourrir une bouche infinie. On ne lit plus le fleuve à la lueur du ciel ni l’émotion du vent au vol d’un oiseau. On mesure la terre à l’aune du profit. On calcule. On spécule. On regarde les arbres avec des yeux de clou. Les chiens de garde n’ont pas de flair. Ils mordent sans raison les mollets de l’enfance. Quand les roses se transforment en treillis, il suffit d’une épine pour retrouver la chair. Je ne mets pas de gants pour ne pas avoir froid, je serre les mains tendues. Je tricote les mots avec la laine du cœur. Bousculant les cailloux, un oiseau-mouche fait son nid. Les mots vrais ne peuvent pas s’écrire. Ils sont l’humus où germent les images, la fée lumière au milieu des enfants. J’écris à partir de ce rien qu’on ne peut me voler, le désespoir transformé en espoir, l’amour qu’on ne peut pas détruire.


Publié dans Prose

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