En haut de la montagne
En haut de la montagne, les travaux recommencent. Je grimpe d’un bon pas sur le dos de la colline constater les dégâts. Qu’a-t-on fait de la forêt ? On a laissé partout des copeaux, des rognures, des friches mal essartées, des grumes désinvoltes. Sur les arbres abattus de longues larmes d’huile remplacent la résine. Des emblavures empâtent les roches dégarnies, la tête chauve des cimes. Un chemin creux se perd au milieu des débris. Il n’y a plus que des pylônes qui poussent, des repères géodésiques, des relais d’antennes. Un troupeau de bêtes mécaniques s’acharne à rogner le terreau nourricier, souillant les sources d’eau potable d’une urine poisseuse. Une odeur d’essence a remplacé celle des loups. Dans la carrière taillée sur un ancien volcan, on a mis l’os à nu. Des mastabas s’empilent entre les bétonneuses et les camions à benne plus larges qu’une rue. De-ci de-là, dans ces tranchées lépreuses, des collerettes de fleurs s’accrochent à la vie. Quelques rares abeilles butinent un gras de rouille sans les apercevoir. Les détergents lâchés avec les eaux usées nourrissent de phosphate les algues bleues du lac. Quand on voit les mouettes courser pour un bout de mégot, on mesure à quel point les hommes souillent la terre. Après avoir détruit le collège, le couvent, l’hôpital, même le paysage, s’apprêteraient-ils à remblayer le lac pour en faire un parking ? Les os de la terre craquent sous mes pieds. Une débusqueuse énorme arrache la barbe des sapins, écorce les érables, écrase les bouleaux, ne laissant sur le sol qu’une paillasse de pauvre hérissée de cailloux. Une main de métal éventre le sous-sol. Les trous dans le feuillage font les gros yeux et les fourmis s’affolent. L’essence contamine la fraîcheur des sources. L’odeur du cash a remplacé le goût d’aimer. La soif du pouvoir étouffe les raisons d’être. Les élus n’écoutent pas la voix des citoyens. Faudra-t-il s’enchaîner aux monstres mécaniques, couper le courant, s’immoler par le feu, affronter la police avec une flûte à bec, faire bramer l’orignal, réveiller l’ours et rameuter les loups ?