Le bois de l'incendie

Publié le par la freniere

On a séduit des innocents pour en faire des soldats. Les yeux des délateurs encombrent l’espérance. Quand l’homme raconte ses naufrages, je n’entends pas la mer mais les mauvais bateaux, les rafiots servant de négriers, les soutes remplies d’armes, les voix corrompues du commerce. Le bois de l’incendie et celui des épaves pleurent la sève désertée. Je ne cherche pas l’ombre mais la clarté des roches visitées par la pluie. J’écris comme les rides dessinant un visage, la mer touchant la rive, la terre et ses labours, le thé du Labrador faisant tinter le givre. Il faut parler au moindre des atomes, jouer avec la terre pour comprendre les vers, écrire avec des mots qui saignent sur la page et sémaphorent dans la nuit comme des feux de luciole. On a séduit les dieux pour en faire des monstres. Les chants des minarets appellent à la guerre. Les prières sont armées par les marchands de canon, le bruit des tiroirs-caisses, la lâcheté des hommes. La vie tombe en poussière sous les doigts des banquiers. Des anges ivrognes titubent sous leurs ailes rongées. Des fleurs se dévêtent dans le jardin des ruines. Des enfants font la moue sous l’arc-en-ciel des larmes. Mon journal de voyage en trace la déroute. J’ai un cahier qui geint sous la morsure des mots.

        

J’ai un autre cahier faisant la sourde oreille au commerce des choses. Je cherche l’homme en quête de l’homme qui ne serait pas à vendre, des caresses invisibles dont les nœuds sont fragiles, des mots qui brillent dans la nuit, la neige venant lécher le doux oxyde des feuilles, les traces de caresses sur l’épaule du monde. J’écris dans un bateau coulé qui monte vers le ciel où les mouettes se noient dans un sillage d’huile. J’écris d’un train enfoui sous la rouille des rails, d’une maison de boue où s’attarde la pluie. Vous pouvez rire si vous voulez. Le bruit du cœur réveille la musique endormie. À chaque battement, les neurones s’agitent. Les vertèbres tiennent le do sur la portée du corps. Je m’entoure de livres, de grands arbres, d’étoiles. Je me nourris de mots, de pain sec et d’espoir. Je bois à même l’eau toutes les rivières du monde. Tout ce qui brille n’est pas d’or. Il n’y aurait pas d’ombre sans lumière, pas de route sans pas, ni de miroir sans alouette. Le vent qui souffle en rêve agite l’invisible. On voit passer des anges aux ailes de muguet. Les abeilles font leur nid dans les coffres du miel. Même s’il pleut, même s’il est tard, même si j’en meurs, j’avance vers la vie.

        

Je n’ai rien oublié, ni les dessins d’enfant ni les vieilles brûlures, ni les blessures ni les joies. Les amis disparus m’attendent quelque part. Tous ceux que j’aime sont en danger. À chaque jour, on empoisonne l’air, on dénature le pain, on vend son sang pour vivre ou mourir un peu plus. La langue rétrécit en même temps que le rêve. Les doigts des mots touchent la page et ratissent les phrases. J’y colle ma détresse dans l’herbier des  images. Dans le jardin du crâne, un papillon médite au milieu des pensées. Les fleurs montent en graines. Les gouttes de pluie descendent. Les routes se creusent en réponse aux souliers. Les larmes coulent jusqu’au cœur, la source vers la mer. La vie n’a rien prévu contre le cours de la Bourse, le coût des choses, la hausse des prix, les chiffres des comptables. Au lieu de me joindre à un groupe, de fonder un État ou de compter mes sous, j’aboierai comme un loup. J’aime trop ma solitude pour habiter la ville.

 

Pour créer le monde en sept jours, il a fallu du rêve et des mots pour le dire. J’efface tous les chiffres et l’encre des journaux. Mes métaphores oublient de se mettre à la page. La langue la plus juste ne se conjugue pas. Un jour, un an, l’éternité, ni passé ni présent, les mots s’accordent aux changements du temps. Je suis une poupée gigogne dont il manque les vides. Chaque poupée reste seule enfermée dans son corps. Seule la dernière s’ouvre, mais on ne l’atteint pas. Pourrais-je vivre en paix sur un sentier de guerre ? La lumière des néons éclaire les façades. Le soleil va plus loin. À l’imparfait du monde, il oppose la joie. On dirait que les hommes sont inaptes à la vie. Ils érigent des murs avec les pierres du chemin ou lapident les femmes. Le dernier homme vivant cherchera-t-il encore un boss pour le voler ? Ses bras à vendre lui font mal. Je n’ai que mon âme à donner et je l’offre à la mort.

Publié dans Prose

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