Le ciel se fait grand
De la douleur à la douceur, il suffit d’un c qui écosse les joies pour colorer nos mains. Les fleurs, les animaux, les pierres se reflètent dans le berceau des bras. La salive du silence fait reluire les dents. Chaque pas est à l’image du monde. C’est le parfum des feuilles qui fait rire les arbres. Un chat se coule sur les branches comme un poème en prose léchant le poil des mots. Le matin fait le propre sur le parquet du temps lavant les bleus du monde. Le ciel se fait grand pour accueillir nos yeux. Le soleil se fait beau pour l’éclat d’un brin d’herbe. C’est un jour à aimer sans poser de questions. J’ai fait les poches du bonheur et la peau du malheur, un pacte avec la vie, un sourire aux oiseaux. Les mots ondulent sur la page comme des pailles au vent. Dans les fourrés d’orties quelques fleurs font la fête offrant leur chair bleue au dard des abeilles. Même les épinettes abandonnent leur ombre à la clarté du jour. L’enfance resurgit de la mémoire des pommes. Je bois à grandes gorgées le vol des oiseaux. Je relis Giono les yeux plus grands que la page. Un pic bois robinsonne sur un arbre désert. Ses coups de bec déchirent le tympan des insectes. Ce qui existe en moi ne veut plus s’évader. Il y a des jours où il suffit d’ouvrir les yeux. Tout est là. L’âme respire à fond par les poumons de l’air. Il est permis de rêver.
Ce n’est déjà plus une journée pour aimer, vider son sac, tordre son cœur, monter la cote. Certains déroulent encore une pelote de haine, un tapis de prières, un pont d’or pour les riches. La parole perd son âme dans un panier percé. Les cervelles d’oiseaux s’égarent dans le miroir aux alouettes. Allergiques au pétrole, les chameaux font la grève. Il n’y a plus de Bédouins ni même d’oasis. Il n’y a plus que des chèques, des cheiks en limousine. Quand la danse fait tilt, les machines à sous reprennent le contrôle. À la loterie de l’espoir, le client vend son âme pour amasser le néant. Les gagnants perdent plus que les perdants ne gagnent. L’arc à souder a remplacé l’arc-en-ciel des gestes. Le Père Noel est une ordure. Il ne donne qu’à ceux qui ont déjà tout pris. Je cherche dans les poubelles quelques mots oubliés, une phrase perdue entre les rubans d’or et les fleurs en chiffon, quelques larmes encore chaudes, un sourire trop moche pour servir deux fois, un ange tombé de l’arbre époussetant ses ailes. Je croise dans la rue quelques fées des étoiles violées par des lutins, des mages de pacotille ayant perdu le nord. La neige blanchit la poudre et les trafics d’armes. Les comptables regagnent les paradis fiscaux. Il n’y a plus d’éthique en politique mais des tics de polichinelles. Les marionnettes s’emmêlent sans voir qui tire les ficelles. Dans la prière des téléscripteurs, on arme Dieu pour un baril de brut. On fait mentir le vent pour quelques mégawatts. On fait de l’absolu des chiffres sur un chèque. La vie en est réduite au compte en banque, la sagesse aux diplômes, l’écriture au clavier, la morale au standing, le théâtre au décor, la musique au clinquant, la poésie au livre de recettes, la route à la pointure des souliers, le voyage aux valises, le film au générique, l’inconscient aux messages publicitaires, la muse au tour de table, la femme au tour de taille, l’avenir aux bandes annonces et l’enfance aux jouets.
Qu’avons-nous fait de l’homme ? Mon cœur est dans les mots comme une lune sur l’eau morte. Le sang voyage dans mes veines des orteils à la tête. J’écris comme un oiseau cherchant la faille, une bête son os. Il y a des oiseaux que l’on ne voit que par l’oreille. Ils font leur nid dans la paille des ombres. Quelque part en nos têtes nous avons tous un lieu magique, une mer, un fleuve, un simple arpent de neige. Si je suis né les pieds dans l’eau, je n’en ai pas suivi le cours. Je porte malgré tout la mémoire des galets, le sable des rivages, le vertige du pont, des souvenirs mouillées par l’eau du Richelieu. Plus je pense à la mort, plus je vis. La foule du cœur se lève et souligne l’amour. Les plus petites choses agrandissent le monde. Ce que Dieu a promis, seuls les hommes le peuvent. Les mains savent des choses que la cervelle ignore. Quand je cherche mes mots, je trouve parfois le ciel. La lumière des mots s’imprime à l’encre noire. Sous les choses qui dorment, les doigts qui les façonnent ont laissé leurs empreintes. Comme tout homme debout, j’ai peur de mes pas. Un caillou, une fleur, une poignée de sable, dans les mains d’un enfant, résument l’infini. Si les mots ne sont pas une sève, j’essaie d’harmoniser la page avec les arbres, faire entendre l’oiseau dans le bruit du papier, mettre l’homme debout en face de sa vie.