Le coeur et le reste
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on auto jappe sur la finance. L’autobus rote au coin des rues, éclaboussant les cyclistes rêveurs. Il te reste ton poing pour écrire, ta bière pour prière, ton loto pour espoir. Oncle Sam t’a tout pris, le cœur avec le reste. Tu as perdu l’amour dans le péché de la piastre, ton âme pour un salaire, ton violon pour un gun. À force de ne rien décider, tu décèdes avant le temps. Vivre dépossédé de soi, c’est comme ne plus vivre. Je vis ta vie en même temps que la mienne. Les mots sont à chacun. La poésie n’est jamais exclusive. Elle grappille partout. J’entends à peine le son de ma pensée. Elle grésille comme une vieille radio. Elle pétarade comme un muffler troué. Une ampoule clignote comme une étoile sale. La lune verse à boire le reflet du soleil. Toute la vie se résume à un prix. Le bonheur se calcule au coût des sentiments. Le rêve éclate en mille miettes. Je me réveille seul, ramassant les morceaux.
Après avoir changé l’eau en vingt, ils veulent vendre l’air. On a planté des tours de béton sur ma ligne d’horizon. On m’a donné des perles et des miroirs de toc juste pour avoir ma peau. Étant donné le feu, l’air, la lumière et l’eau, je dois rester vivant. Étant donner l’enfance, je dois parler ma langue. Je voudrais croire aux anges, encore plus aux vivants. À force de jaser avec les écureux, j’ai fini par apprendre la langue des noisettes, le jargon des écales. Je souffle des balounes dans la gomme des mots. Je lance des bateaux sur l’eau des métaphores. Le ciel crinque les nuages comme des jouets d’enfant. Le soleil est à cheval sur la ligne d’horizon. Je me cache sous les planches d’un poème. Je déshabille la voix pour en voir les os. Je déboutonne le silence pour en voir les mots. Traquant le squelette sous la chair de poule, je me dépouille de tout. Il m’arrive de cracher l’amer jus des mots. La révolte et l’amour se prennent par la main et traversent la mort de leur ombre solaire.
Une miette de pain est une plus belle preuve de la présence de l’homme qu’une balle dans le plâtre d’un mur. Les lèvres sont d’abord des véhicules de sourires. La tête des ormes joue avec son chapeau d’homme. Les écureuils s’esbrouent d’une branche à l’autre. Ils sont fous comme des fougères au vent, soulés de sève et de soleil. Les fleurs respirent en silence. Les bêtes pleurent sans se cacher. De l’animal à l’homme, on se demande parfois s’il fallait faire un pas. Le lapin s’arrache les poils du ventre pour faire un nid à ses petits. L’homme loge les siens dans des blocs de béton. À la mort de ma femme, j’ai vu mon loup hurler sans gêne. Il est resté trois jours à sangloter, entre la grange et la maison, sans lever l’œil sur un lapin, sans penser à manger. Pour que le monde soit meilleur, il n’est pas nécessaire de vivre mais il est essentiel d’aimer.