Le courage des mésanges
L’ampoule dans ma tête passe de cent watts à quarante watts sans que je sache pourquoi. Peut-être à cause des images trop pâles, des phrases bancales ou des idées bancroches. Fatigué des bruits de la ville, je cours vers les arbres. J’appuie ma tête contre l’écorce. Je cueille un peu de vie dans le courage des mésanges. Il pleut. Une goutte, une autre. Les nuages éternuent. Entre les gouttes de pluie, une larme se glisse. J’ouvre et je ferme les yeux sans arriver à reproduire la vibration des ailes. Je cherche un tout petit oiseau, de ceux qu’on pose sur une phrase et qui picorent les voyelles, un mot de scrabble à trente points dans un désert de lettres, la fenêtre d’un oui dans une muraille de non. Ma langue bouge comme un suisse dans la tanière des mots, écalant des syllabes, grignotant des images, rongeant des métaphores. Les oiseaux ont des branches. Les arbres ont des nuages. La mer monte sur la page. Le vent frappe à la porte, le nez rouge et les moustaches glacées. Je m’élève à hauteur du cœur.
J’avance avec des jambes de mots, des pieds de mots phonétiques, des rames de papier sur l’océan de l’encre, des mots comme une rivière heureuse de couler, des mots en couleurs, des mots en noir et blanc, des mots sourds et muets, des mots pour tout, des mots pour rien, des mots pour rire ou pour pleurer, des chalumeaux de mots entaillant la syntaxe, des érables de mots qu’il faut prendre à la lettre, la vie qu’on prend aux mots, des mots de cœur, des mots de tête. Je fouille les armoires sans trouver de réponses. La phrase du matin s’étire jusqu’au soir, remuant ciel et terre, ramassant tout pêle-mêle, secondes et bagatelles s’emmêlant aux oiseaux, miettes de pain et nuages de lait, méduses et sucres d’orge, racines et métaphores, minous de poussière et tapons de laine, les regards et les ombres. Je traîne le mot comme sur la langue toujours prêt à sortir, le mot mais dans ma dent creuse, le mot si et même le mot mot, un pourquoi sous les yeux faisant battre les cils au gré des courants d’air.
Il y en a qui pédalent sur un vélo stationnaire, croyant doubler le corbillard. Les uns volent en tricycles sur une affiche de cirque. D’autres s’évadent en chaise roulante. Les klaxons restent sourds à la voix du vivant. J’ai ralenti mon train de vie. Je m’arrête à chaque gare, délestant peu à peu ma valise. J’enlève mes souliers pour traverser le texte, laissant des traces d’encre sur le blanc du papier. L’oiseau pour voler ne porte que son poids. Les âmes toussent dans la poussière du corps. Quand le placard du moi s’entrouvre sur la vie, les mots roulés en boule se déplient. Les images s’éveillent. Une vie de poing fermé sort enfin de sa poche. Les phrases font la queue sur la page de l’air. On les entend siffler devant chaque naissance, de l’œuf de tortue à l’enfance de l’art, de l’or du pollen à la croissance de l’orme. Des étoiles scintillent dans le sous-sol du sommeil. Toute fiction a besoin de racines, de bêcher la terre, de boire à l’eau de source, de croquer une pomme. Chaque matin, j’ouvre les yeux. J’ouvre mon cœur et vide son sac. Il en sort un sourire, une chanson d’amour, des sons à fleur de peau, des cailloux, des bonbons à la cenne, le souvenir d’un baiser maladroit, des noms d’arbres et de fleurs, des images d’enfant, ce qu’il faut d’un moineau pour rassurer les arbres. Le crayon sur la page est comme un sismographe qu’agite l’invisible.
Je renverse mon cœur au milieu d’un cahier. Je m’appuie de la voix au chambranle d’un pommier. Il n’y a pas de rivière sans eau, de fleurs sans abeille. Il n’y a pas d’ombre sans lumière, de parole sans homme. Il n’y a pas de vie sans âme. Je cherche la bonté disséminé partout, du silence des racines au craquement de l’aubier. Il suffit d’une personne pour tracer une route, d’un écureuil ou d’un chevreuil. Il suffit d’un oiseau pour soutenir le ciel, d’une goutte d’eau pour aimer. Je ne m’étonne pas du vide mais qu’il y ait quelque chose. Se pourrait-il que le vent déracinant les arbres les tienne aussi debout ? Se pourrait-il que le temps rajeunisse l’espace ? Des pensées nagent dans le paysage où je vais à la pêche avec un bout de crayon. La poussière des faits s’efface dans le multiple de la pluie. Je ne mange pas avec ma tête puisque j’écris avec mon ventre. Tant de fils nous déchirent que d’autres viennent recoudre. J’ai les poches bourrées de petits papiers. J’en ferai des phrases un peu plus tard. La vie est une boite à musique dont je cherche la clef.