On nous ment
Abandonnées par les facteurs, les boites à malle s’ennuient. On nous ment sur la vie, sur le monde, sur tout. Le béton, le bitume, le verre, le plastique nous tuent. Nous courons vers le gouffre les bras chargés d’emplettes. Nos achats laissent des morts, des ventres vides, des seringues éventrées, des traces de sang, des douilles et des déchets radioactifs. Les puits de pétrole crachent des morceaux d’hommes. On transporte la mort dans les attachés-cases. Vivre n’est plus qu’un commerce. On y bétonne la culture à coups de 1%. Une sculpture de Vaillancourt devant le Palais de Justice ne rend pas la justice plus juste. Quand les multinationales commanditent les universités, on favorise l’ignorance. Il ne faut plus penser. Il ne faut plus chanter sans permission, ça rend l’art public. Il n’est pas surprenant de perdre sa langue dans un décor de panneaux-réclames. Dans le domaine du savoir-vivre, les méthodes de calcul ont remplacé le cœur et dans celui du savoir-faire la qualité s’efface devant la quantité. On s’invente des salades en plastique pour justifier le pétrole, des valentins au cœur en chocolat, des marges de crédit pour les assis de la breloque. Lorsque les cotes d’écoute servent d’oreille, on n’entend plus chanter la source. On complique la vie des joueurs d’harmonica. On sert du caviar aux joueurs de poker.
Ceux qui gèrent nos biens ne nous laissent que les dettes et s’engraissent du reste. Parler de guerre à un homme d’affaires, un intégriste, un soldat est un pléonasme. Parler de droits sociaux à un policier, un sénateur, un banquier est une contradiction. On rase les boisés. On assèche les marais pour construire des condos inaccessibles à la majorité. On laisse pour les jardins communs une terre contaminée. Pour les dirigeants de la planète, on n’est pas loin de la perfection quand tout le monde se hait. Ça fait de l’argent pour les soldats, de la chair à canon, une maille de plus à la chaîne de montage. On ne distingue plus le vendeur du voleur, le holding du hold-up, le truand du policier. On complète le bras du Seigneur avec un revolver, celui d’Allah par un détonateur. Avec leurs fonds de retraite, le troupeau des épargnants passe à la caisse comme une vache d’abattoir. Le capitalisme est simple à comprendre : plus on achète, plus on doit travailler, le minimum de salaire engendre le maximum de profit, les petits paniers rapetissent et les grosses poches engraissent. Entre l’avoir en trop et le manque à gagner, le paradis fiscal et l’enfer des dettes, la banque passe la gratte.
L’eau se terre comme une bête pour échapper aux barrages de béton. Elle se bat pour rester nue. Une vie de fer-blanc n’a que la rouille pour espoir. Il faut trouver la fente, la faille, la fêlure. La terre survivra-t-elle à force de racines ? Le corps parle une langue que nous n’entendons plus. Nous faudra-t-il réinventer la vie ? L’inimaginable bat du cœur sous la poitrine de l’aube. Le muet qui m’habite à repris la parole. Ses gestes sont des sons, des syllabes, des phrases en accolade, des tatouages d’air. Ses mains disent le cœur. Il vient à vous par les couleurs. Un gramme d’herbe sous la langue se dresse dans ses mots. La toiture est légère dans la demeure d’un verger. Un vol d’oiseau suffit pour accueillir le ciel. Il faut vivre comme on se jette à l’eau. Les réponses apparaissent au-delà des questions. Ce qui dépasse l’entendement mène plus loin que la technologie. La vie n’a pas de sens. Le sens est en chacun. On ne peut pas vivre sans respirer et c’est nous qui soufflons. Je ne connais pas le petit a, le petit b, le petit c, à peine les majuscules. Dans un mot, chaque minuscule est un géant sur le chemin des phrases. Les syllabes forment une main transportant tout le poids des images.