Où allons-nous ?

Publié le par la freniere

Où allons-nous ? Des hommes tiennent en laisse des aboiements sans chien. Des fillettes se marient avec des notaires. Des images se noient dans l’enfer des chiffres. Des cœurs poussiéreux font de l’ombre à l’amour. Des yeux de poisson mort élèvent des sanglots. Les pieds du capital salissent tous les planchers du cœur, du sous-sol à la bibliothèque. Des objets sans pitié grignotent l’atmosphère. L’avenir des arbres est en danger. Une haleine de pétrole enrobe les paroles. L’homme n’en finit plus de tuer des oiseaux. Sa bouche pleine de pierres lapide le silence. Il faut que la lumière se dilate sous l’écorce des ombres et que l’encombrement des choses laisse place à la vie. Il m’arrive d’entrer dans une banque avec un loup pour effrayer le gérant, d’aller dans une église avec un nez de clown, de traverser la rue avec une roue blessée, d’apporter chez le Chinois une chemise qui pleure, d’éparpiller des feuilles sur les bancs du métro, de laisser mes poumons dans un débit de tabac, de jeter du sel dans l’eau de l’habitude, de noyer mon chagrin dans un bouillon de poulet, d’asseoir des poupées sur les fauteuils fanés, de mettre des poèmes entre les circulaires et de signer des chèques avec des mots d’amour. L’été sourit. L’espace danse. On m’avait dit c’est pour la vie, mais les marchands passent par là. Le cœur porte à gauche, leur portefeuille à droite.

        

Personne ne dort dans la ville. La douleur des choses tient le monde éveillé. Le rêve se heurte à la réalité, aux formes définies, aux murs de verre et de béton que prolongent des écrans. L’histoire s’efface sur les journaux abandonnés, le lait tiède, les allumettes éteintes, la cendre des mégots. Les pesticides empestent la gourmandise de l’herbe. La chlorophylle brûle dans l’oxyde de carbone, le plastique et le fer. Les fleurs sauvages s’étiolent dans la matière inerte.  Les ultrasons détraquent le radar des abeilles. La pluie aux mille bouches n’arrive plus à digérer le smog. Les oiseaux nichent dans la poussière. Le bond de la sauterelle n’amuse plus personne. On plante en plein désert des arbres de métal aux racines carrées. Le pétrole y jaillit comme un grand aqueduc. Un arc-en-ciel de néons dissipe le soleil. L’essence a remplacé la sève sous l’écorce des jours. De l’utérus au coffre-fort, les sous prennent la place de l’âme. L’âge se compte en petites coupures.

        

L’herbe était notre compagne, les arbres nos amis. Les oiseaux nous saluaient de haut. Qu’avons-nous fait ? On ne meurt plus de vivre, on étouffe dans l’air, les machines et l’argent. Le monde moderne n’est plus qu’une fiction. Il repose sur la croyance en la monnaie qui n’est qu’une chimère, une pensée de négociant. À l’église boursière, la marchandise a pris la place de l’âme. L’homme sait-il quel mal il fait pour s’enrichir, quelle destruction il engendre ?  Les victimes se noient dans l’acculturation, l’alcool, la bêtise et la dope. Esclaves du marché, les enfants travaillent plus qu’avant. Ils s’arrachent la peau pour habiller les riches. Le temps compté met des œillères aux fleurs, des larmes d’abattoir au doux regard des vaches. Des cercueils sur roues encombrent l’autoroute. L’espoir est à genoux. La mort ouvre d’un doigt la fleur de son crâne. La vraie soupe n’arrive plus aux cuillères ni le pain à la bouche des enfants. J’avance lentement au milieu de la vitesse. De tout ce que j’ai perdu, de tout ce que j’ai trouvé, je ne peux rendre que les mots, mes lèvres envahies par la soif, mes bras tendus vers la lumière. On n’a pas besoin de ce qu’on n’a pas. On a besoin de ce qu’on est.

Publié dans Prose

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