Un abri de fortune
Je ne crains personne. Ce sont les groupes qui m’effraient. Le bonhomme de base y devient fanatique, pour un ballon, un bout de papier, un drapeau, une icône, un salaire. En haut de la montagne, les travaux recommencent. Je grimpe d’un bon pas sur le dos de la colline constater les dégâts. Les os de la terre craquent sous mes pieds. Une débusqueuse énorme arrache la barbe des sapins, écorce les érables, écrasent les bouleaux, ne laissant sur le sol qu’une paillasse de pauvre hérissée de cailloux. Une main de métal éventre le sous-sol. Les trous dans le feuillage font les gros yeux et les fourmis s’affolent. L’essence contamine la fraîcheur des sources. L’odeur du cash a remplacé le goût d’aimer. La soif du pouvoir étouffe les raisons d’être. Les élus n’écoutent pas la voix des citoyens. Faudra-t-il s’enchaîner aux monstres mécaniques, couper le courant, s’immoler par le feu, affronter la police avec une flûte à bec, faire bramer l’orignal, réveiller l’ours et rameuter les loups ?
Il faut croire à ce que crée la vie, non à ce que l’homme en fait. J’écris à voix haute en traversant le bois. Je passe une audition à l’oreille des bêtes. Il y a toujours un vieux suisse bougon pour redresser mes phrases, un hibou railleur qui se moque de moi, un raton laveur qui finasse sous ses lunettes fumées, une corneille un peu sourde qui me fait répéter, la longue queue d’un renard qui paraphe le tout mais laisse des poils roux sur le costume des poèmes. La naissance d’une fleur, la construction d’un nid, l’éclosion d’un œuf, le miracle du miel me consolent des banques. Il faut refaire ami avec la terre, l’écouter chanter, remplacer la promesse par son accomplissement, qu’on vive ensemble sans se faire mal. Il arrive que les mots soulèvent la poussière. Les phrases se mêlent au vent, les paroles à la pluie, les pages blanches à la neige. Il ne faut pas craindre la mort. Ce n’est qu’une âme quittant son abri de fortune. L’eau rêve entre les rives. La terre nous regarde avec les yeux de l’air.