Un corps de papier

Publié le par la freniere

J’habille un corps de papier avec des robes d’encre que le regard dévêt. Le style, c’est la musique des phrases, leur boitement, leurs fausses notes qui chatouillent l’oreille, la douceur des consonnes, la dureté des voyelles, les dièses ou bémols de la ponctuation. Les passages à la ligne servent de glissando. L’alinéa est un pas de côté. Les virgules creusent un trou dans la voix. Les points retiennent l’encre sur le bord d’un abîme. Un poème fait des cercles dans l’eau noire du silence. Les mots cherchent à remplir les espaces du manque. Il y a longtemps que j’écris. Je n’ai jamais eu le temps de me relire. Je plonge dans le vide. J’écris ma mort de mon vivant avec les mains ouvertes à l’inconnu qui vient. Je n’ai rien choisi. Les mots sont en avance ou arrivent en retard. Déboulant l’escalier, je me relève d’une phrase. J’écris de partout, des fragments de silence, des failles dans le mur, de la beauté d’un arbre, de l’horizon qui fuit, de la mort qui approche, du spectacle émouvant de la mer, du partage des fraises, de la première neige, de la dernière pluie, de la caresse des foins fous, de l’odeur du pain chaud, de la mémoire et de l’oubli. Les mots retiennent le vent qui s’échappe des mains.

        

Peu importe le jour, peu importe l’année, il n’y a jamais rien qui ne soit rien. Il n’y a jamais rien qui soit tout. Tout recommence à chaque instant. Les mots ramassent le vide entre les choses pour les remplir de sens. On n’efface pas la mort en acceptant la vie. On lui donne son sens. Mon pays tient dans un carnet de notes. Il tient même sur une feuille de papier. Il tient dans une phrase. Il tient tête au silence. L’âme est plus qu’une lumière, c’est une façon de voyager. Je cherche le sentier reliant la maison du cœur au garage mental, la rivière plein d’images, le pont couvert du poème où traversent les mots, les attaches fines de l’air, les rives de nulle part joignant l’eau de partout. J’ai besoin des odeurs beaucoup plus des couleurs, de la route beaucoup plus que des pas, des caresses beaucoup plus que des mains.

        

J’ouvre les choses par le ventre sans briser leur visage. Un habit s’ennuie tout seul dans une garde-robe. Il faut le porter ou le donner à d’autres. Quand on les enfile de nouveau, la peau de vache renaît dans le cuir des souliers. Les pantalons s’agitent sur l’épaule des cintres. Les bras s’animent. Les manches font la manche. C’est la même chose avec un verre. Il faut sans cesse le remplir. Dans une maison vide, je fais entrer le paysage et sortir les choses. On ne voit pas les arbres se pencher et ramasser leurs fruits. Ils font confiance au temps. Les nuages nourrissent les ruisseaux. Les plantes voyagent avec la terre. Les loups ressemblent à la forêt. On ne sait jamais à quoi ressemble l’homme. On tourne en rond dans son soi-même, entre la rose des sables et les bonhommes de neige, le treillis militaire et le manteau du mendiant, le trésor des riches et l’appétit des pauvres, les hommes debout et ceux qui rampent dans la boue. Ça tombe comme des puces dans la toile informatique, de site en site, de url en hurlement médiatique, de blog en bug, de raccourci en langage primaire. Dans les cerveaux pliés en huit, il n’y a plus de rêves. Je voudrais ouvrir le mien, l’étaler sur la table comme un dessin d’enfant. La vérité se trouve du côté des vaincus. La gloire n’est qu’une fausse échelle. À chaque barreau qu’on monte, on écrase la vie, l’amour, la tendresse.

Publié dans Prose

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<br /> <br /> Recettes de mots aux fines verbes<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> La fricassée est en cours, la flamme lèche les contours, <br /> Par lente évaporation, <br /> Elle concentre les saveurs.<br /> Orpailleur des mots,<br /> Cuisinier des verbes,<br /> Il s'agirait, en quelque sorte,<br /> De distribuer ceux-ci comme un fin dosage d'épices...<br /> <br /> Et les phrases qui naîtront, du saupoudrage de la pensée, <br /> Avant qu'elles n'occupent la mémoire sur le papier,<br /> Laisseront leur couleur et leur goût,<br /> Qu'enchante le savoir de la cuisson.<br /> <br /> Une manière de vivre qui n'est pas parler,<br /> Ou enfin, d'un parler différent,<br /> Passant presque par le toucher,<br /> Le frottement analogique,<br /> <br /> Un sucré-salé, relevé d'un jus léger,<br /> Que je reçois aussi par sa lecture,<br /> S'il m'est communiqué,<br /> Fragances et haleines subtiles,<br /> La capacité de voyager<br /> Dans la lueur des étoiles,  et<br /> Le partage des esprits.<br /> <br /> <br /> -<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> RC-  14 septembre 2013<br /> <br /> <br /> <br /> <br />