Un léger mieux

Publié le par la freniere

 

La seule fête de sa vie ce sont ses vers. Un froid cruel, presque abstrait, s’est abattu. La neige tombe par rafales. Irina sa fille est morte de faim dans un asile. Elle avait trois ans. Ne parlait pas et chantait sans cesse en se balançant. Elle n’est pas allée à son enterrement. « On n’a jamais eu un enfant, on l’a toujours. » Elle a sauvé Alia. Qu’est-ce que l’oiseau d’or du destin ? « J’aimerais que tu connusses toutes les étendues de son divers paysage depuis sa côte bleue jusqu’à ses plaines russes... » lui écrivait Rilke. Un cœur est-ce que cela s’essouffle. Il fait presque jour. Elle cuit des haricots et boit du café très noir. Elle a depuis longtemps abandonné toute tâche ménagère. Elle n’a pas versé une seule larme. Ni le temps, ni la place. Pleurer, c’est admettre. Elle étouffe. Elle aimerait être seule et écrire toute la journée. Elle aurait voulu que quelqu’un lui en fasse cadeau. Elle aurait dû vivre il y a cent ans. Peut-être est-elle née trop tard. Elle a oublié comment sourire. Elle a oublié Londres, Berlin et l’Italie. Elle ne sait plus rien ou si peu. Qu’est ce qui s’est accompli ? Elle ne reconnaît Dieu qu’à travers le non – advenu. Sa mémoire s’est barricadée. Où retrouvera-t-elle le pas ailé d’antan ? Mour marche, en cercles comme un astre.  
 
Shoshana Rappaport, Léger mieux, « Marina Tsvétaïeva »,  L’Act Mem, 2010

 

Publié dans Poésie du monde

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