Un vers de quatre sous

Publié le par la freniere

La poésie s’habille de pauvreté. Lorsqu’il est gorgé d’humain, un vers de quatre sous peut coûter cher de vie. Il faut tremper les sens dans un bain de bonté, donner de l’homme à l’appétit des mots. Il ne faut pas confondre la fleur avec le vase, les fruits avec la corbeille, la parole avec la grammaire. Par horreur de l’esclavage, j’ai déserté l’école. Il ne faut pas se faire d’accroire. On a beau se poser des questions, expérimenter le temps, l’espace, la matière, résoudre des problèmes, on ne paie pas pour le savoir, mais ce qu’il rapporte aux hommes d’affaires, aux marchands d’armes, aux requins de la finance et les faux démocrates qu’ils placent à leur pouvoir, mannequins maniérés, faux gueulards, faux frères, marionnettes sans fil que celui de l’argent, de la gloire, de l’orgueil. La réussite sociale est un leurre. Elle se pratique au détriment de l’âme. J’ai beau sortir de chez moi, je ne sors pas des mots. Ils me suivent partout. Ils prennent la forme qui lui donne le paysage, la couleur des nuages, le ramage des arbres, le vol des oiseaux, la géographie des cailloux, les odeurs de la vie.

 

Ça grésille, ça frétille, ça bourdonne dans la chambre à poux. Il ne faut pas se taire tous en même temps. Les choses pourraient nous entendre et deviner notre bêtise. Elles refuseraient d’obéir. Les planches rêveraient de feuilles, le manche d’un marteau d’un nœud plein de résine, le bois des meubles de racines, la rampe d’escalier d’un écureuil reprenant ses glissades et la chaise d’un nid entre ses quatre pattes. Ce n’est pas la poésie, la spiritualité, la magie qui dépasse l’entendement, c’est la misère de l’homme. Comment en sommes-nous arrivés là, un monde sans morale, sans éthique, sans amour, un monde sans monde ? All for the money. La chair et l’os ont fait leur temps. Tout pour le virtuel, le numérique, le factice. L’homme ne connaît plus ses voisins mais le nom des acteurs, le scénario du vide. On ne fait qu’ériger des panneaux et chacun tombe dans le panneau qui s’avère un panier percé. Nous vivons entre deux chaises où l’on ne s’assoit jamais. C’est l’entre-deux qui fait la vie. Ne restera-t-il de nous que des restes affreux, des os rongés par le profit ?

 

Il faut toujours se méfier des murs. Il y a des clous qui peuvent tuer. Les drapeaux font la belle pour enlaidir le monde. Où sont les bouches qui ne mentent pas, les mots qui brillent dans la nuit, les passeurs d’invisible ? Ce n’est pas le temps qui change la tonalité de l’écriture, mais l’émotion. Quand ce n’est pas le cœur qui saigne, mais simplement la blessure, il n’y a pas besoin de garrot. La parole s’épuise sous le pansement du style, le coton stérile de la ponctuation, le baume grammatical. Je veux que chaque pluie soit un apaisement, chaque orage une danse d’éclairs. Que serait le réel sans l’imaginaire pour le compléter ? Sur le chemin de l’enfer, je cherche à quelle gare peut s’égarer le train, à quelle heure il déraille. Je cherche l’oasis où poser ma valise. J’apporte l’eau des mots au carnet trempé d’herbes, pour que par goût du vent, de la pluie, du beau temps, l’oiseau du corps s’évade de sa cage d’organes, que le temps se couche à nos pieds comme un gros chien pataud. Ma vie se compose de bouts de papier, de lambeaux de chair, de petites éternités, de coups de poing, de coups durs reliés par de l’encre. Les plus grandes questions ne tiennent plus devant la faim, la douleur, le mal de dents. Sous la peau de chagrin des années, chaque os réclame sa part d’éternité, chaque muscle sa part d’infini.

 

L’homme saigne et se cabre. Le malheur du monde a fait fuir le papillon posé sur son épaule. Avec pour seul moteur le profit, la technologie rend de plus en plus inaccessible la beauté du monde et infecte la source. Il n’en faut pas beaucoup pour transformer le jardin des délices en celui des supplices, deux ou trois hommes d’affaires, un banquier, un notaire, quelques spéculateurs, quelques polichinelles agitant leurs ficelles. Dans sa cage de verre, l’homme se bute aux barreaux de béton. Les anges aux ailes courtes ont le malheur d’être des hommes volant à ras de terre jusqu’à perdre des plumes. Heureusement, des mains façonnent encore de l’argile, des lettres, des caresses, un chant d’ocarina. Dans les ombres chinoises, des doigts miment l’oiseau et la beauté des femmes. Toutes les sources mènent à la mer, par les rivières ou les égouts. On ne remplace pas les muscles des oiseaux par un ressort d’automate ni le cerveau des fleurs par l’odeur des idées. Malgré le poids des morts-vivants, la vie se tient debout. Des semences d’été dressent la tête et les orties s’entêtent. La sève rêve de fruits. Je laisse ma page ouverte au passage du temps, à la voix d’un passant, à l’aboiement d’un chien, au vent dans les érables. Ce n’est pas en pure perte que les vagues s’écrivent sur la plage, que l’encre sur la page n’arrête pas de saigner, que le cœur s’obstine à battre la mesure d’un monde en perdition, qu’un éclair subsiste sur l’ombre de la pierre. Je ne porte pas le deuil de l’enfance, plutôt le rêve des peluches. Je continue d’écrire comme un mauvais élève qu’on ne peut mettre en rang. Ne trouvant plus de mots, je redirai «maman». Elle est à l’origine des premières syllabes.

Publié dans Prose

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M
<br /> Un seul commentaire ne suffirait pas. Et puis tout se dit ici sans nécessiter d'écho. Car ce ne serait qu'écho. Je reprends juste ceci : "Que serait le réel sans l’imaginaire pour le compléter ?"...<br />