Une becquée de pluie
L’écran d’ordinateur cache bien ses barreaux. Ma tête y est encore mais ma parole s’évade. Elle creuse dans la terre pour trouver ses racines. Elle vole avec l’oiseau, butine avec l’abeille, faseille avec le vent et hurle avec les loups. Dans le nid du jardin, les petites fleurs reçoivent la becquée de la pluie. Je perds des mots dans les trous d’eau, les bancs de neige, la poussière des routes. Je perds mes lettres dans une boite de scrabble. Je perds mes lunettes dans le flou des images. J’aurais besoin de ma tête pleine de puces et de clics. Elle est restée coincée derrière le dernier bug. Chaussé d’encre et d’images, je perds pied sur le sol des pages. Je perds mes repères. Je perds le nord et le retrouve sur la Carte du Tendre. Un cœur sans amour est comme un loup vivant dans une forêt morte. Quand la monnaie mène le monde, la paix accouche de soldats. Je suis du terrain vague, des jachères, des ronces, du clou rouillé et sa voix de fausset dans la chorale des choses. Même s’il n’y a pas de mur, je défoncerai la porte, j’ouvrirai la fenêtre. Je trempe ma langue dans les spores, les pollens, les parfums. Je trompe la mort avec des mots. Les négatifs de la neige se développent la nuit sur l’acétate du rêve. À chaque coup de crayon, un peu de vie s’échappe, un peu de mort frissonne. Les minutes sortent à peine du présent que le futur les efface. L’homme sans amour est comme un oiseau qui ne saurait pas voler. Ici, entre mes phrases maladroites, quand le réel cogne aux portes, c’est le rêve qui ouvre.
Il manque toujours quelque chose au présent. C’est ce manque qu’on habille de mots. En hiver, la toile devient blanche. Les arbres ont remisé leurs pinceaux de feuilles. Les couleurs dorment sous la neige. La pluie ne cache pas les larmes mais le rire des fleurs. Une lumière cherche à naître dans la nuit des organes. Une eau cherche à jaillir sous la poussière des mots. Avant qu’on le butine, le jaune des jonquilles était encore sous terre. L’oiseau sous sa coquille prépare déjà son vol. Chaque millième de seconde diffère du précédant. Tous les mots se relient. Sous la jaquette du corps, le cœur tourne les pages. Ce n’est pas vrai qu’on écrit seul. Il y a toujours quelqu’un qui lit par-dessus notre épaule, un frère, un ami, nos enfants, notre blonde. Il s’agit toujours d’une lettre qu’on envoie, d’une bouteille à la mer, d’une poussière dans l’œil. Il arrive que de cette poussière émane la lumière, que la bouteille laisse des traces dans la mer, qu’un facteur invisible trouve un destinataire. Ce que l’on donne à lire n’est jamais dans les mots. Plus que les phrases, que l’habileté, que l’écoute, il faut de l’amour, de la compassion, de la bonté pour écrire. J’ai effacé les chiffres dans le secrétariat du cœur. J’ai laissé mon rôle au vestiaire, mes valises sur le quai. J’arrive les deux pieds dans la neige ou les feuilles, les mains vides pour accueillir la vie. Je garde sur la page un petit coin de terre où l’herbe pousse encore.