Jean-Philippe Salabreuil
Né le 25 mai 1940 à Neuilly-sur-Seine, Jean-Pierre Steinbach – qui prit le pseudonyme de Jean-Philippe Salabreuil – meurt à Paris le 27 février 1970. Trois recueils de poèmes constituent son œuvre:
Francis Wybrands
Poème depuis longtemps
Il y a cette année
Beaucoup de neige dans mes poèmes
Et c'est aussi que l'hiver
A longtemps reblanchi notre monde
Or si je regarde bien
Dedans dehors un peu partout
J'aperçois des chevaux et des chiens
Qui marchent dans les fleurs au fond de l'eau
Comment ai-je pu tant dormir
Le ciel soudain n'est plus désert
Je reconnais des gens à leur sourire
Voici que je respire au bord de la lumière
Un autocar jaune apporte des arrosoirs
Un train pas bien long passe à travers le temps
Je vais au bout de mon petit couloir
Là est le jour la porte ouvre au printemps
Beaux brins de fille de pervenche
Jupons qui dérobez une tulipe au ciel
La route à son épaule arque des branches
Un oiseau fuse au pavillon de la forêt.
Je suis parti revoir la terre
Le moteur vert tourne tout rond
Mais l'or du vent hisse paupière
J'ai les yeux bleus et je suis blond
Halte ici recommence la vie
Sous un écroulement de lilas mauves
Je cache la voiture et je dévie
D'un pas de deux ou trois vers l'aube
Comment décrire ce qui s'ensuit
Les pins sifflent l'étang bouge
Alors je fume auprès d'un puits
Toujours se déclare une joue très rouge
Ici-bas tu portes le nom
Léger que tu m'as dit j'en porte un autre
Mais à nous deux nous portons le même amour au monde
Aux plantes la même eau le même jour au morts
La chambre à feu
Au bord du livre que j'écris tourne le ciel et ses montagnes. Une chose plus essentielle que la vie est le matin du monde en fleurs à travers nous. La hauteur bleue nous habite et nous dédaigne non remaniée depuis les âges nous qui changeons. Voici l'automne de nouveau qui toujours se ressemble. Et lorsque l'âme à la fin s'émerveille un cri plus pur de rouge-gorge enfile nos sombres haies de buis jusqu'au silence. Écrire ici pour moi n'est plus ouvrage de lumière. Ailleurs m'interpelle des morts à la dérive qui n'ont d'encre ni papier ni plume en leur barque si noire. Et puis quelques vivants de même démunis parmi l'enclos des monts branchus. Mais l'aube me retrouve à pic entre les deux lucarnes de l'espace où je balconne et ne me laissera jamais semblable. Une heure ou deux le grand parti des rossignols a pris ma chambre à feu pour un pin de ténèbres. Ils sont mots violents que la nuit range mal et dérange. Ainsi les mains levées plus fréquentes et tremblantes. Ainsi le cœur tardif. J'y gagne une rigueur.
Aux soirées lisses et dévidé le fil ténu des jours cette allégresse m'a recommencé. Mise en doute la fatigue un ruisselant sommeil m'élève au profond visage des nues. J'ai pour témoin ma vieille lampe avoir à sa lueur défouie les menées blanches d'un pays d'érables. Et l'éternel glissement d'astres en route pour l'hiver. O douce lune es-tu venue quand je me suis tourné vers la muraille? A minuit les roses de Novembre ont quitté mon jardin pour le ciel. Une à une entre les pages de livres lus et refermés les montagnes s'enneigent et s'effacent. Au monde limpide entier ma fenêtre ouverte demain secouera sa charge de bois obscurs.
Empire du pardon
Soleil du haut des toits du ciel. Toujours ici dans le dessus. Quel appel y concentre ses larmes couleur de pierre? Pas un arbre n'y touche. Où trouve-t-il accueil au plan des eaux? Je suis là de la main frappant d'exil et gravement mes pensées d'entre les oiseaux du jour. Un hiver sans fin passe comme un fleuve lent aux limites du silence. Ai-je droit à la vie et de mordre aux pains de poussière du temps?
(Non répondent les fumées ruées dans le plus bleu de la lumière non. L'étagement des linges crus jusque dans l'âme claire du vent. L'odeur poissonneuse des cours de lèpres émigrant parmi les mers en haut. Les lucarnes maigres jetées en l'air ouvertes à des parages d'herbe inaccessible. Et les morts gravissant l'escalier terrible de l'oubli. Tout m'abandonne en contrebas. Tout m'a dit non.)
Je suis ailleurs dans le dessous du monde. Une neige endormie me surplombe. Et c'est le niveau des sources de la nuit pure. On ne peut connaître pays plus sombre. Il est mieux que natal. Il est sorti de moi. J'y pose chacun de mes pas comme un jet de bouleaux. Puis les torrents et les montagnes à l'avenant du cœur. Et surtout quand le soleil a troué la surface pour descendre ici. Je l'ai vu lentement refleurir et se mettre à la voie. Cet asile conclu d'aube et commencé d'obscur. Cette glissée consolatrice dans l'empire du pardon.
Je suis là
Vous me croyez vivant
Je laisse mes yeux ouverts
Je regarde la nuit
Et je sais pour vous plaire
Y poster deux hiboux
Je les poudre d'étoiles
Et les chemins sont fleuves
Entre berges de boue
Je suis là je murmure
Et ces mots vous comprennent
Comme comprend le vent
Ce mélèze où nous sommes
Inondés de fraîcheur
Mais moi je suis ailleurs
Je ne suis pas vivant
Je suis mort et transi
Je ne suis pas ici
Simplement je vous parle
Et vous écoutez sans savoir
Combien ces choses sont lointaines
Combien me font ces feuillages d'ennui
Qui nous dépassent dans la nuit
Et demain seront les traces
De mes pas dans l'autre nuit.
Chant baroque de la vie transparente
C'est une fenêtre transparente toujours ouverte
Mon âme sombre assis auprès riant trop clair
Si clair on sait dehors tout ce que j'aime et certes
Ensemble je déteste en ce sanglot trop clair
Je viens au monde chaque instant ma transparence
Avivée de lumière un peu plus et dépense
Un boisseau d'ombre fraîche au coin brûlant du jour
Avec de bleus Téniers avec ce que Lhermite
Épand de nuit mauvâtre au promenoir en titre
Des amants de Rameau et le hautbois d'amour
Tout encordé de frais qu'ensommeille Albinone
Avec l'aube aquatinte au fond ma voix qui sonne
Et mince toujours plus comme va le soleil
Ne me laisse qu'un doigt devant d'ardentes cibles
Mais sombre et de velours enfin joignant pareil
Au feu le sein de tant de filles intangibles.
En clair
Fenêtre ouverte en clair
Ou bien tout se termine
Ou bien tout recommence
Et le premier matin du monde
Animaux à genoux
Des femmes qui s’en vont
Des hommes qui reviennent
Et le premier été du monde
Abandonne découvre
Étreint ma terre la dénoue
Trébuche sur les pierres
Et roule comme elles roule
Au bas de mon épaule
Au bas de tes mains fraîches
Où vient de s’arrêter
Mon sang rouge calèche
Dans le premier matin d’été.
La neige encore La lucarne s'ouvre sur le gris des cours Jean-Philippe Salabreuil
et on voit floconner la neige très blanche
entre le gilet noir et le gilet rouge
hier mis à sécher dans le clair du printemps
mais dans leur poche le garçon et la fille
ont oublié chacun la première jonquille
apparue la veille
dans les profondeurs nues du bois
Maintenant l'oiseau crie
sur l'or des temps qui fanent
et la neige qui tombe élève la lucarne
lentement vers le ciel
comme une étoile en moi.