Ils ont dit
Ceux qui passent du ventre de la femme au giron d'une l'Église ne sortent jamais de l'oeuf.
Jacques Ferron
les mots de la vie
Ceux qui passent du ventre de la femme au giron d'une l'Église ne sortent jamais de l'oeuf.
Jacques Ferron
ZZZoooouuu
c’est le bruit
que ma vie fait
lorsqu’elle s’épuise
elle te rejoint alors
mais toi
quel est ton bruit
comment mets-tu ta griffe
signes-tu des actes
commets-tu des faux
parfois
triches-tu
as-tu déjà été parjure
t’est-il déjà arrivé de
promettre
connais-tu la perplexité
la vraie
celle qui foudroie l’alouette
au bout de sa verticale
te laisse-t-elle silencieux
ou bien disert
cherches-tu des écrevisses
dans l’encre de ta vie
au fond tout au fond
et t’ont-elles jamais
pincé les doigts
ô je t’en prie dis-moi
quel est ton bruit
est-il blet et rouge
ou noir comme bile
quelle cohue
j’attends ton télégramme
qui me dira
quel est ton bruit
Christian Erwin Andersen
L |
es mots sont démunis face à la terre mais plus près de l’univers qu’un homme face à l’étoile. On écrit toujours un peu à partir de sa tombe. Sur la froideur des parfaits, je mets un peu de boue, le piment d’une erreur, quelques poivrons ardents, la langue de chacun. Dans le silence des muets, j’apporte la parole, la musique dans les entrailles d’un piano, le rire d’un enfant dans le discours de l’homme. Au milieu de la tempête, chaque arbre se transforme en instrument à vent. C’est alors que mes mots font leur nid dans la fosse d’orchestre. Toute mon enfance turbulente grouille encore dans ma tête, les chansons de ma mère, le piano du grand-père, les tresses de ma soeur où j’accrochais ma voix. Malgré la camisole des phrases, les mots n’en font qu’à leur tête, dansant et chantant à la fois, clopinant sur un pied ou marchant sur les mains. Le cœur ouvert en parenthèses accueille ces gamins qui lancent des cailloux. Si Dieu s’efface devant l’homme, ce dernier jettera-t-il les armes, deviendra-t-il meilleur, se mettra-t-il à rire, à remercier la terre, le soleil, la vie ? Le cœur ouvert comme une fleur se ferme-t-il la nuit ? Depuis le premier jour, je n’ai jamais pu faire autrement que d’écrire. La vieille conjugaison s’habille avec le temps. Les tics grammaticaux y côtoient l’esthétique. Les mots veulent toujours dire autre chose qu’eux-mêmes.
En poésie, les mots sortent en boitant, un peu à la manière du blues. Ils doivent leur beauté à cette infirmité. Les voyelles cachées leur donnent leur élan. Mon Bic avance sur la page comme un ongle qui griffonne la chair, les faux pas d’un chameau venu brouter la neige, un bonhomme de glace dans une tempête de sable. Je replace un à un les morceaux du soleil dans le puzzle du ciel, les nuages à l’endroit, les oiseaux dans leur vol. Un pouls secret fait battre les artères du temps. La cendre se rappelle des caresses du feu et réveille le fleuve de son sommeil d’hiver. Le verre n’a plus d’eau mais retrouve la source. Par l’humus et la pluie, les feuilles remontent aux branches. Par la neige et le sucre, la sève des érables nous inonde la bouche. Les brins d’herbe têtus se redressent dans l’air. La musique remplace le bruissement des choses. Les poils se hérissent sous la chemise du verbe et le soleil fait fondre la doublure des manteaux. La tristesse refoule comme un chandail mouillé. Les bancs de neige rapetissent. Les ruisseaux grossissent. Le lac s’élargit. Les cadavres d’oiseaux se transforment en nids. La montre du pays remonte ses ressorts. L’œil du temps s’allume. Le cœur cassé du rêve recolle ses morceaux.
Il manque trop de barreaux à la vie. Je tiens l’espoir par les deux pieds pendu en l’air comme on retient le temps. Chaque instant est pareil à la porte qu’on ouvre ou à celle qu’on ferme, au courant d’air qu’on traverse. De légitime défense en légitime démence, on se cogne partout. Nos mains s’accrochent aux gestes, nos rêves aux derniers restes. Demain est trop loin. On oublie le présent. On en fait du malheur. Je cherche les mots pour apprendre le langage du monde, les gestes pour le dire Les herbes se redressent aimantés par l’orage. Le cœur bat contre le corps et se débat contre le temps. Le sang coule d’une veine à l’autre. Le chant passe de bouche en bouche. On marche sur un fil en retenant la chair de trop s’y enfoncer. On jette quelque fois un regard sur le ciel, une fleur aux nuages, un espoir à la terre. On s’accroche à l’autre. On lui décroche la lune. On perd son âme dans les choses. On le retrouve dans les mots, les gestes d’un potier, les lignes d’un dessin, le bois d’un violon.
Il y a des réalités qui n’ont pas de centre, aucune possibilité d’en tirer des règles, une boussole sans nord, une pendule sans aiguille, une lune sans reflet, un gosse au départ d’un manège. C’est de là que j’écris comme au bord de l’abîme. Le sentiment d’aimer cherche des corps où s’incarner mais la plupart des hommes ne le voient pas. Ils perdent leur vie à la gagner, cassent du Juif sur les Arabes, broie du noir en attendant le café. Ils comptent leurs sous sans voir l’hameçon qu’ils avalent de travers. Ils perdent leur langue dans un portable, leur voix aux élections, leurs doigts dans un panier de crabes. Ils vendent leur âme pour un salaire et troquent l’or du temps pour une poignée de change. Ce matin, j’ai la mine d’un crayon. Les mots veillent quand je dors. Ils gardent la maison quand je pars. Lorsque la route s’égare, ils me tiennent la main. Lorsque le sol s’écroule, ils me tiennent debout. Je me retrouve dans le chant des insectes, la rumeur des eaux, la vérité du froid. Mes pieds se sentent à l’aise dans les flaques, mes yeux dans les nuages, mes doigts sur du papier. Les grimaces des mains se transforment en sourires. Des bras endoloris de mon corps, je m’évade par une image. L’âme se dresse sous mon écorce d’homme jusqu’à la chlorophylle des caresses. Du fond de ma poitrine, j’écris avec des mots plus vrais que la monnaie.
photo: Jean-Christophe Pochat
Le long du Richelieu, face aux inondations, pendant que les sinistrés s’acharnent à colmater les brèches, l’armée envoyée en renfort se tourne les pouces. Il ne faut pas s’en étonner. Dressés non pour la vie mais pour la mort les soldats se contentent d'y tuer le temps au lieu de tuer des êtres humains. Tout compte fait, une armée qui ne fait rien est encore la meilleure.
Dessine-moi l’arbre
que tu es
Dessine-moi la rivière
que tu as racontée
Dessine-moi le vent
qui t’a fait voyager
Dessine-moi le feu
qui brûle en nous
Dis-moi que je suis ton au-delà,
dis-moi que tu es mon au-delà,
toi, l’animal blessé,
tes ancêtres t’ont conduit à moi
pour me raconter les images
de tes rêves.
Reste un peu dans ma mémoire
toi, l’homme, l’animal blessé,
reste un peu dans ma mémoire.
Tes murmures sonnent
la sagesse d’une vie vécue,
ton regard devine la paix,
ton cœur bat au rythme
des battements d’ailes de l’aigle.
Ton sommeil est habité
par les esprits de ton peuple métis
silencieux.
La nuit étoilée
t’emporte dans un monde
qui te garde vivant.
Joséphine Bacon
Michel X. Côté est un peintre, parolier et poète québécois, originaire de Rouyn-Noranda. Ami d'enfance de Richard Desjardins, il a collaboré à plusieurs textes de ses chansons. Il collabore régulièrement avec des artistes de la chanson et des musiciens comme Michel Faubert , Pierre St-Jak et Lou Babin. Michel X. Côté est un poète du territoire, des origines et de l'instinct.
Bibliographie :
Tout l’air alentour bat. Écrits des Forges, Trois-Rivières, 2000
Des preuves de prédation. Éditions Trois-Pistoles, Trois-Pistoles, 2002
Tambour de peau. Éditions Trois-Pistoles, Trois-Pistoles, 2004
Etoiles talismans. Éditions Trois-Pistoles, Trois-Pistoles, 2005
La cafétéria du Pentagone, Mémoire d'encrier, Montréal, 2012
J’ai joué mes amours aux pauvres jeux
des pourvoyeurs d’ivresses frelatées
la nuit longtemps m’a brûlé les yeux
le désir jamais ne me laisse désenvoûté
je nje sais que faire
des salives
au goût de fer
et des mains paisibles
nettes et furtives
comme des cibles
la terre sait tout
des malfaisants
elle les voit venir
depuis la nuit des temps
ceux qui ont tout prévu
sauf la compassion
et leur cœur tout nu
sur une table d’opération
je ne sais que faire
d’une blessure
comme un miroir
où plus personne
ne cherche un visage
le soleil donne
au paysage
sa part d’obscurité
sous l’éclat dur
d’un ciel fracassé
la nuit longtemps m’a brulé les yeux
x
Ils ajoutent toujours
du génie à leurs enfants
de la bêtise à l’étranger
et à l’argent
une overdose de sens
les perfides nous convient au banquet
de tous les renoncements
l’orchestre s’accorde
une cruauté débonnaire
accommode les danseurs
leur extase pétrie
dans la chaux
des incantations
x
Nos enfants
qui n’êtes pas vieux
que vos noms soient dits et chantés
que vos rires donnent à vivre
que votre volonté soit une fête
en temps de paix ou de défaite
oubliez pour demain
les peines d’aujourd’hui
faites tomber nos défenses
n’ayez crainte de nous offenser
ne nous laissez pas sombrer
dans la médication
et délivrez-nous des présidents
Michel X Côté
Je pense aux personnes merveilleuses de ma vie je pense
à vous mes amis vous mes inconnus innombrables je
pense à Robert Desnos dont les yeux étaient des
perles je pense à Rimbaud le jeune homme vert qui
rougissait jusqu’aux oreilles je pense à d’Aubigné
couché avec ses pistolets.
Je pense aux personnes à merveille dans ma vie mes
frères loin mes potes en allés mes jamais rencontrés
je pense au cœur de ma mère solitaire je pense
sur la tête de mon père je pense à mes aïeux en rangs
d’oignons dessous la terre je pense à ma grand-mère
sempiternelle qui avait le blues toujours dans sa
vieille blouse
Je pense aux personnes de merveilleuses à vie je pense à
leurs coups de mains je pense à leurs coups de pieds
au soleil cou coupé et à baise m’encore je pense à
leurs coups de reins je pense à leurs coups de dés
Je pense aux personnes qui me merveillent la vie d’hiver
à aujourd’hui et jusqu’au lendemain la merveille de
leur voix de leurs ries et chagrins je pense à eux
longtemps je pense à eux très vite je pense à elles
aussi je pense partout à lui
Je pense aux personnes dans ma vie merveilleusement
je pense merveilleusement aux personnes de ma vie
car je n’oublie personne personne et pas même moi
je pense à tout le monde et m’y trouve comprise je
pense à moi qui pense à vous et à merveille
Valérie Rouzeau