Respirer l'infini

Publié le par la freniere

photo: Michel Langlois

photo: Michel Langlois

Le jour bouge et vacille comme l'ombre d'un arbre, le profil d'une vague. Les fleurs reconnaissent leur parentèle. Elles poussent en famille, les zinnias avec les zinnias, les tournesols avec les tournesols pour regarder le soleil. Les montagnes s'étendent toutes nues ou habillées de vert, dressant leurs mamelons rocheux. Le houblon s'enroule autour des bouleaux comme des cheveux de femme. Je vais, sentant le sec et puis l'humide, l'odeur des fleurs ou des plantes, le romarin, le basilic, le thym, le grand noir de la nuit ou l'air brûlant du jour. Mon cœur cogne et demande à sortir. Il toque contre la peau et les poumons se gonflent dans la cage thoracique. Tout est précieux, une brindille, un pétiole, une feuille. Tout est utile, un brin d'herbe, un grain de sable, un poil parmi d'autres. La terre n'en finit pas de marmonner comme une vieille édentée, murmurer dans les eaux, soupirer dans les grottes, le ciel d'éclairer même au milieu de la nuit. Mille questions nous taraudent. Toutes les réponses nous entourent, le jappement d'un chien, les pin-pon d'une ambulance, le rire d'un ruisseau, le ronflement d'un chat ou celui d'un moteur, le sifflement des balles, l'étonnement d'un enfant, les cris d'amour des musaraignes, la taille des objets, l'âme des arbres, celle des hommes. Il faut les déchiffrer, défricher les énigmes, déchirer les pans de mur, écorcer les écales du sens. Puisque le sommeil des choses est sans rêve et sans trêve, je veux saisir la vie avec ses pages trempées de boue, ses bouts de comédie humaine, ses brouillons, ses brouillards, ses bafouilles et ses mots, sentir l'odeur de l'immense,  respirer l'infini.  Depuis tout petit que je m'échine à grignoter les mots, le pain du jour tombé en miettes. J'écris comme une brouette chargée en trop, une soupe qui déborde, un petit-lait qui monte. Je voudrais que ce livre écrit sur rien se tienne par ses phrases, non pas leur style mais l'âme qui les habite.

Ce n'est jamais les choses que l'on voit, mais son regard sur les choses. Je ne suis pas doué pour la parlotte. Je défigure la parole. Pourtant, je tiens à la vie par les mots, le s du sperme, la barre sur les t, les points sur les i, les différents accents, le v du vol des oiseaux, l'électricité des choses, l'énergie de la terre, la décantation des roches, les mouvements de langue, les dés jetés, le déjeté des ballerines, la fraîcheur de l'eau, le e muet des gestes, la couleur des moissons, celle des peaux, la souplesse du cuir, l'initiale des noms, des minuscules aux majuscules, l'esperluette et les guillemets. Tous les hommes se valent, du pire au meilleur. Ce sont les conditions qui changent. Le temps passe. Les blés jaunissent. Les sentiments dégringolent du cœur et courent dans la vie. Chacun vieillit en suivant ses organes et sa chair, ses tripes et ses pensées. Enfer et ciel sont en nous, peu importe les religions ou les idéologies. Chaque jour apporte un jour. Chaque heure fait son temps. Chaque homme porte son poids. Il y a la vie. Il y a l'homme. Il y a la mort aussi. Pourquoi a-t-il fallu qu'on ajoute l'économie, cette engeance aussi sotte que la chose militaire? Alors qu'une bonne partie de la planète meurt de faim, on ne calcule pas le prix de chaque bombe, chaque sortie d'avion, chaque sous-marin, chaque soldat. Avec une minime partie de ces dépenses tout le monde pourrait manger, se loger, s'éduquer, s'amuser. Il faut souvent se détourner de l'homme pour apprécier la vie. Les verges d'or envahissent la campagne. J'écoute le bavardage des oiseaux et les grenouilles qui ricanent. Des papillons balaient leurs maisons d'herbes folles. Je ne suis pas un chercheur d'or. Je cherche l'homme encore debout. Je poursuis ma route, de la caresse nébuleuse des étoiles au baiser géologique des montagnes. Tout commence à partir d'une goutte, l'homme et la rivière, l'esprit et la matière, le ton et la manière, toute la faune et la flore à partir d'un arbre et le cri d'un grillon.

 

Jean-Marc La Frenière

 

 

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