La Fanfare Pourpour à Shawinigan

photo: Ile Eniger
les mots de la vie
je suis d'ailleurs / et pourtant / j'observe le sens / de toutes vos prières /
j'ascèse / les mouvances / du désert / et pourtant / je suis / fertile / de toutes vos mers / reniées / ou inventées /
vous me sommez / la sentence de l'origine / mais je n'appartiens / qu'aux
livres insoumis / et aux êtres / que j'aime /
Je traîne la vie au bout de mes lacets. Je tombe et me relève souvent. J’ai appris à marcher sur le bout d’un crayon. J’ai appris à parler avec mes deux pieds. Je marche pour écrire. Les mots me tiennent debout. Je visite les morts par les issues de secours. Je détecte la source sous les planches pourries. J’apprends à souffler le verre pour en faire un oiseau, à caresser le bois pour en faire un violon, à façonner l’argile en pichet d’espérance.
On ne fait pas de pain avec le blé des banques. Que mangerons-nous quand le béton des promoteurs aura bouffé toute l’herbe, racine par racine ? Que boirons-nous quand les derniers chevreuils n’auront plus à sucer que des carcasses d’autos ? Que ferons-nous des rivières polluées, des arbres mis en chiffres, des rêves mis en boite, des poètes en prison ? Il y a longtemps que j’ai abandonné la drogue, le salaire, la télé. Je me veux dépendant de l’amour, de la liberté et de la vie.
Je mets les yeux en face des trous, les fantômes sous les draps, les fourmis dans les jambes. Je mets du bleu partout, du blanc sur les drapeaux, les chiffres avec les lettres, les clous avec les mots, la chair des voyelles sur l’os des idées. Je galope à cru sur le cheval du rêve. Je déshabille la reine sur l’échiquier du cœur. Ça commence très loin du livre, dans le blanc des racines, l’âpreté de la terre, le frémissement des feuilles. Je ne sais pas où se forment les mots. Ça ne finit jamais. Je lis dans les étoiles des voyelles inconnues, des phrases dans la neige et les traces de loups. Les mêmes mots ne sont jamais les mêmes. Les mots je t’aime changent de peau sous la mue des caresses. Se taire n’est pas plus grand qu’écrire. Parler est plus petit qu’étreindre. L’oiseau quand il vole résume toutes les langues.
La terre dégorge encore tout le venin de la haine. La peau du fleuve se ride. Le temps moutonne sous la laine qu’on file. Trop de vin se renverse sur les tables désertes. Le temps cogne des clous sur la poutre du cœur. Quand je regarde les étoiles, je me perds dans les yeux de ma mère. Quand je n’étais pas né, un homme quelque part m’a ouvert les yeux. Mozart portait en lui le premier joueur de flûte, le vent dans les roseaux, le souffle d’un oiseau. Van Gogh peignait déjà dans la grotte de Lascaux. Un roi Lear posait la question de la vie. Dès la première étoile, un fœtus a bougé dans le ventre d’une mère. Sourcier de père en fils, je trouve l’eau secrète du bout de mon crayon. Les mots que je façonne ne m’appartiennent pas. Ce sont des mendiants déguisés en voyelles, de vieux moines laïcs habillés de consonnes. D’un million de galaxies, ils prennent ce qu’ils peuvent. Chaque pas n’est jamais que le lieu d’où l’on part. Sur l’escalier du temps, chaque nouvelle marche nous tire vers le haut.
Trop de statues de sel nous bloquent l’horizon. À regarder derrière, on risque d’y rester. Parmi les gares, les ports et les aéroports, trop de gens restent sur le quai sans prendre le départ. Ils figent sur le sol à regarder l’oiseau avec des yeux de pierre. Je me dessine encore des ailes sur le corps, des lignes de vie plus vastes, des bottes de sept lieues. Je cherche dans les mots les voyelles qui s’aiment et la tendresse enfouie dans les livres d’images. Quand on salue la fleur qui s’ouvre au matin, on devient son parfum. L’amour est toujours un miracle. Le corps de l’un trouve sa place dans le corps de l’autre. La beauté est l’autre nom de la bonté. Elle ne promet rien mais soulève sa pierre. Les yeux conservent les regards qui les ouvrent à la vie. On voit toujours plus loin que le regard ne porte.
Les arbres plein d’oiseaux ont l’impression de voler. La nuit, l’espace rentre à l’intérieur et veille sur le temps. Je ne veux pas comprendre mais aimer. Quand on n’entend rien, c’est le soleil qui parle. Ce qui est grand pour les insectes, le reste aussi pour moi. Derrière chaque mot, tous les hommes se dressent. Il n’y a pas de frontières, rien qu’une ligne sans trace ouvrant toutes les routes. Toutes les choses existent pour partager la vie. Il faut les accueillir comme une communion.
L’âme du monde aux yeux de délation
a les pattes brisées.
Elle roule comme un caillou
sur les larmes d’enfant.
Brûlée jusqu’à l’os,
la bourse à vide
et la mâchoire avide,
elle saute comme une mine
au milieu des marelles.
Sa musique en play-back
se pend aux cordes vocales.
J’attendais tout de la vie
mais le pastel pourrit
et le pistil saigne
dans le cœur de la rose.
L’orage vient rugir
sur les feux de la peur
ne laissant que la cendre
sur les fontaines mortes.
Des fous de Dieu
tournent leurs yeux brûlés
vers une Mecque aveugle.
Des mères dénaturées
maudissent leurs enfants
quand ils brisent les armes
et condamnent la haine.
Leurs fils meurent très jeunes
sur le chemin du ciel,
une bombe à la main
au milieu des écoles.
J’attendais tout de l’amour
mais la mort est partout.
Les chiens crèvent sans un os,
les enfants sans un rêve.
Les mains des femmes tissent
des linceuls de sang.
Des soldats s’agenouillent
sur les tapis de prières
juste avant les massacres.
Tout s’achète et se vend,
de la peau jusqu’aux dents,
de la peur et du sang,
de l’espoir et du vent,
le sexe des enfants,
l’urine des jeunes vierges
et des couches aux vieillards.
Même le désespoir
fait recette à la caisse.
On vend la mort en seringues,
en pastilles, en bouteilles,
de la poudre à canon
et de la poudre aux yeux.
On ne vend plus son âme.
Les huissiers l’ont saisie.
On vend plutôt des armes
et des rêves à la mode.
La foule fait la file
sans savoir pourquoi.
J’avais rêvé d’un monde
aux vertes espérances
mais l’argent mène le bal
sur les écrans géants.
La foule au bord du gouffre
n’attend qu’un pas de plus.
On voit des hommes à genoux
payer pour y rester.
On voit des femmes aussi
vendre leurs doigts coupés
Pour acheter des bagues.
Le pont d’or est pourri
sur le fleuve des choses.
Les sourciers meurent de soif
Je pense à toi avec mes doigts, avec mes mains, avec mes yeux. J’avance à toi avec mes mots. Tes mains s’affairent dans mes cheveux. Tu es partout sur moi et je te vois partout, à l’envers des affiches, sur les pétales de rose, dans les yeux de mon loup, au bout de chaque route. Chaque rayon de soleil, chaque goutte de pluie, chaque brin d’herbe me rappellent tes doigts. Chaque étoile qui brille évoque ta présence. Quand je hurle à la lune, ce sont des mots d’amour. Tu appartiens à la musique. Tes yeux dansent avec moi.
Les lettres arrivent toujours en retard mais nos baisers précèdent l’encre. Ils se promènent de fleur en fleur et nous parviennent chargés d’odeurs. Mes yeux te lisent dans le ciel sous les grands titres des nuages. Mes mains sur tes hanches ne laissent pas de doute sur l’existence du bonheur. Avec nos rires qui s’enlacent à l’encolure de la nuit, nous dérivons ensemble vers le reste du monde. Nos mains s’accrochent à nous au plus intime de l’être. Je te prends à l’éclat, à la lumière, au ciel. Tu me rends à la vie. De l’en-dessus à l’en-dessous, tu rapailles mes gestes. Je te chante à voix basse et ta main signe la musique.
De là-bas jusqu’ici, dans la distance de tes lèvres, ta voix se fait plus douce. C’est la plus belle des musiques. Quand je dors avec elle, elle griffe l’oreiller et réveille mes rêves. Tu es la mousse qui habille ma pierre, le feu dans le buisson, la source sous le sable. Je pense à toi toujours. Sur la montagne de ton cœur, je regarde le monde. Dans le tutoiement des sommets, j’écoute battre ton sang. Je t’aime de chaque côté du désir, sans bord, sans borne, sans frontière. Dans le lit où tu dors, les plis des draps forment des phrases. Ta chemise entrouverte laisse apparaître le ciel. Je n’en finirai pas de lire ta présence.
Quand mes bras se referment sur toi, ils s’ouvrent à la vie. Une fontaine coule dans le jet de tes bras. Je n’en perds pas une goutte. Je prononce en chantant ton nom bref d’oiseau. Je remplis ma bouche de ton parfum de pomme. Il faut chaud dans tes bras. Il fait beau dans tes yeux. Il fait le monde entier dans une seule de tes mains. Il fait tendresse dans nos corps.
(...)
Il y a du noir entre les mots,
trop de sang sur la page.
Il faut refaire le feu
Dans les clartés éteintes.
Il y a trop de sel sur la peau,
trop d’huile sur la plage,
trop de plomb dans les ailes.
On cherche trop de poux
dans la tête d’un caillou,
trop d’argent dans les arbres.
Il y a trop de genoux
sur les tapis de prières,
trop de cendres à porter.
Il y a trop de dollars,
pas assez de pain frais.
Il y a trop de poivre
dans le bol des larmes,
pas assez d’os pour la soupe.
Il y a trop de peau
sous la griffe des chiffres,
trop de banquier, trop de marchands,
trop de cagoules d’ombre.
Il y a trop de mines
sur le chemin du cœur,
trop de drapeaux plantés
sur le crâne des morts,
pas assez de mine dans le crayon.
Il y a trop de clous
dans les planches de salut,
trop de trous dans les mots,
trop de vers dans la pomme,
pas assez de fruits dans le verger.
Il y a du noir entre les jours,
trop de murs entre les hommes,
trop de tragique dans les yeux.
Il faut refaire le jardin
nous descendons les mêmes marches
ton ombre, mon ombre
et juillet nous pardonne
c'est simple
tu fais ta vie dans la mienne
va revoir grand-maman
embrasse-la
et refais le monde
le même cercle refermé sur une aurore
je te suis
Je m’avance fragile
sur la voix des oiseaux.
Je m’avance debout
sur la voie des parias.
Je ne rampe pas, je crie.
Je romps le pain des mots
à la lueur des fusils.
Je ne plie pas, je prie
sur l’autel des bêtes.
Je bâtis ma demeure
avec les pierres qu’on me lance.
J’ouvre la porte aux ouragans,
Aux éclairs, aux chevreuils.
Je ne déserte pas.
J’avance dans la nuit,
une luciole au doigt
tenant tête au néant,
une chandelle à la main
tenant tête aux néons.
Les deux poings désarmés,
je ne plie pas l’échine.
Je grave le mot paix
dans la clarté pierreuse.
J’avance comme un arbre
jusqu’à toucher le ciel