Aphorisme du jour
Quand on retire sa main juste avant la caresse, c’est pour tenir une arme ou la valise d’un patron.
les mots de la vie
Quand on retire sa main juste avant la caresse, c’est pour tenir une arme ou la valise d’un patron.
La petite fille du temps s’amuse avec la terre. La grand-mère de l’espace lui a tressé des nattes. Les cousins de l’automne ont des taches de rousseur. Les pas prolongent la respiration. Les gestes font des mots qui froissent le papier. Les arbres tendent la main, tenant une bouffée d’oiseaux contre le cœur, la tête pleine de fruits. Tous les berceaux sentent la terre, même au cœur de la ville. La force de la sève maintient les fleurs debout tout comme l’eau du fleuve qui écarte les rives. Le chant des tourterelles tombe tout chaud dans l’oreille. J’ouvre le livre des saisons. Chaque page est une main. Les doigts des mots tracent le paysage. Un doigt qui pointe indique le chemin. Un autre sur les lèvres reproduit le silence. Petit, on aime à croire que c’est la pluie qui agrandit les larmes. À la maison, il y avait des tasses à deux anses. On tenait la vie par les deux bouts mais le café trop chaud a brulé la parole. La table est mise par le temps. La vie laisse des trous sur la nappe qu’on ne plus raccommoder. Le vrai du paysage se cache dans le décor.
Je n’ai plus peur quand j’écris. Je mets ce que je veux derrière la porte. Je fais de la lumière derrière l’invisible. Les ombres se font douces. Les enfants de la nuit s’amusent avec la lune. L’espace manque pour les mots qui se cherchent. Le cahier plein mélange les silences et les sons. La voix se casse à la fin d’une phrase. Les mots coupés en deux se perdent dans la marge. Mes yeux replient le paysage. L’horizontal de la terre se confond avec le vertical des érables, laissant des traces de boue sur la peau des nuages. Mes mains s’allongent dans le noir. Ce sont des mains qui rêvent, des ailes ayant perdu la mémoire des anges. La trame du papier ne retient pas les mots. Ils enjambent le cœur et passent par les mains. Ils vont jusque dans l’air qui entoure la peau.
Les questions que l’on pose pour savoir ne nous apprennent jamais rien. Celles qu’on pose sans savoir nous ouvrent le chemin. À chaque jour, je prends ma marche d’écriture, du bord du lac au sous-bois pour aboutir au cimetière. Les mots ont plus de poids écrits entre deux tombes. Il y a des mots qui endeuillent les pages. D’autres blanchissent les virgules, des métaphores aux cheveux gris, des phrases encore aux couches, des images durcissant leurs biceps, des mots qui boitent d’une voyelle. On ne sait jamais où les phrases nous mènent. Chaque lecture change le sens. La nuit s’étale sans tomber. Les vers luisants mâchent l’obscur pour en faire une lumière.
Les yeux de l’eau mirent le ciel. Les arbres chantent à tue-tête. Les merles se chamaillent, pour un brin de paille volé, un œuf tombé du nid, une histoire de plume, une querelle d’amoureux. Les mots s’additionnent. Ils ne soustraient jamais. L’horizon n’a pas d’ombre. Les yeux s’arrêtent à la lisière du jour. Le vent n’a pas de peau. Il touche par la voix. Il étire son sourire jusqu’au creux des oreilles. Un pas, deux pas. J’apprends mes jambes. J’apprends mes mains. L’essentiel est toujours le plus simple. J’écoute respirer les grenouilles. Tout me sert à écrire. Lorsque j’écoute Bach, c’est comme s’il me posait une main sur l’épaule. Lorsque je lis Bachelard, je revois mon grand-père. Il y a du supportable dans la mort, du pensable, de l’humain. L’impensable n’est pas la mort mais ce qu’on fait de la vie, toute cette cruauté, cette cupidité qu’entraînent les monnaies, les drapeaux, les dieux. Il y a des questions qui ne me quittent pas. Combien d’enfants morts de faim, de forêts décimées, de lacs pollués pour un seul millionnaire ? Je ne possède rien. Je fais mon nid dans des architectures de fumée. Je m’accroche aux mots, à un seul mot parfois, et même une voyelle. Cela suffit pour que je meure debout.
Les mots ne veulent pas détruire ce qu'il y a devant nos yeux. Ils répondent aux autres mots, aux vrais mots originels, qui sont dits par la voix du monde. Souvent on parle d'histoire, de mythe, de théâtre. Bien sûr... Mais chaque instant de la vie réelle est plus grand, plus émouvant, plus plein de langage, comme si ces mots et ces images n'étaient que les échos des discours véridiques émis par les montagnes, les fleuves, les forêts, les vents, les orages.
J.M.G. Le Clézio
Quand nous reverrons-nous
maraudeurs de verdures
L'absinthe de la nuit sous vos pas étouffés
minuit a fait flamber sous vos bras les ramures
et le catimini de tous les fruits volés
Quand je vous reverrai
secrets pilleurs de pommes
merises et mirabelles auront quitté mon pré
dans un lieu incertain entre je suis nous sommes
entre la mort et toi l'été aura brûlé
L'automne aura lavé ce vin de pourriture
et tout ce qui en moi avait déjà cédé
ne vous reverrai plus maraudeurs de verdure
ne vous reverrai plus
car vous m'avez trompé
Mais si vous revenez
goûteurs de confitures
revenez s'il vous plaît
pieds nus les yeux baissés
Le gel aura fermé son poing sur la nature
Entre vos voix et moi l'hiver s'est installé
Moi je n'y serai plus et vous serez volés
Nicolas Bouvier
C'est après avoir traversé une plaine brûlée de soleil que je les rencontre.
Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit. Ils habitent les champs incultes, sur une source connue des oiseaux seuls.
De loin, ils semblent impénétrables. Dès que j'approche, leurs troncs se desserrent. Ils m'accueillent avec prudence. Je peux me reposer, me rafraîchir, mais je devine qu'ils m'observent et se défient.
Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans jamais s'écarter.
Ils mettent longtemps à mourir, et ils gardent les morts debout jusqu'à la chute en poussière.
Ils se flattent de leurs longues branches, pour s'assurer qu'ils sont tous là, comme les aveugles. Ils gesticulent de colère si le vent s'essouffle à les déraciner.
Mais entre eux aucune dispute. Ils ne murmurent que d'accord.
Je sens qu'ils doivent être ma vraie famille. J'oublierai vite l'autre. Ces arbres m'adopteront peu à peu, et pour le mériter j'apprends ce qu'il faut savoir :
Je sais déjà regarder les nuages qui passent.
Je sais aussi rester en place.
Et je sais presque me taire.
Jules Renard
SOMMAIRE du numéro 43
Page 2/3 : en guise d’édito par Fabrice MARZUOLO
Page 3 : extrait d’une critique de Guy FERDINANDE
Page 4 : sur la toile de Marcel BARRIL
Page 5 : Guy CHATY
Page 6/7 : Jean-François BATELIER, Didier OBER
Page 8 : Jean-Marc COUVÉ
Page 9 : Raymond BEYELER
Page 10/11 : Fadila BAHA
Page 12/13 : Joël JACQUET
Page 14/15 : Line SZOLLOZY
Page 16/17 : Thomas DURANTEAU
Page 19/22 : Antoine CARROT
Page 23 : Benjamin CHINOUR
Page 24/25 : Thierry ROQUET
Page 26 : Jean-Michel HATTON
Page 27 : Éric DUBOIS
Page 28/32 : Carole MARCILLÉ
Page 33 : Guy CHATY
Page 34/35 : Geneviève BERTRAND
Page 36/37 : Jeanpyer POELS; Shirley CARCASSONNE
Page 38/40 : Benoit PICHONNIER
Page 41 : Christine WINNINGER
Page 42/43 : Didier BUCHERON
Page 44 : Simon MATHIEU
Page 45 : Bénédicte LEFEUVRE
Page 46 : André NICOLAS
Page 47 : LA PASTICHERIE, Claude ALBARÈDE
Page 48/49 : CARTES LÉGENDÉES
Page 50/51 : Morgan RIET
Page 52/53 : un poète à redécouvrir Louisa PAULIN
Page 54 : Olivier MATHIAN
Page 55 : Hervé MERLOT
Page 56/57 : Ivan P.NIKITINE
Page 58 : Comme en petites annonces
Page 59 : POT AU FEU
Page 60 : LES LIVRES REÇUS
Page 61 : COUPS DE CŒUR
Page 62/63 : LES REVUES
Page 64 : INTENDANCE
La poésie est une arnaque comme une autre
Ma survie de la plume a toujours dépendu de revuistes et de petits éditeurs…Je suis donc mort plusieurs fois, mais l’on apprend à vivre de sa plume morte, sans les autres qui, la plupart du temps, vous le rendent bien !
Alors j’écris en priorité pour mes tiroirs. Adoptez cette expérience à votre revue, par exemple vous n’en tirez qu’un seul exemplaire, celui qui vous revient, et le tour est joué !
Je pense qu’une revue n’a d’intérêt que si elle soutient pleinement et en continu, avec insistance, les quelques auteurs que le revuiste a envie d’amener à la reconnaissance. Si c’est pour avoir mille abonnés et éparpiller les écrits de ces mille abonnés sur plusieurs années, cela finit par ressembler à un club de bridge à la dérive.
Je suis un simple poète, je ne trimbale pas un surnom en figure de style, mais j’ai bien conscience qu’en poésie, on n’a pas encore dépassé la vieillerie poétique …L’expression moderne –à la mode, les avant-gardistes, ces « recèlements » de traités de versification, ces momies assimilées, digérées, et chiées dans les recueils, encore et encore !
La poésie est devenue une histoire de professeurs et d’adolescents mal léchés attirés davantage par le mythe de Rimb, par sa gueule sur les posters, par cette révolte en trompe l’œil qui mène plus souvent, de nos jours, à l’habit vert qu’en Abyssinie !
Delahaye ! Mais de quoi qu’on cause : de la voiture ou du pote de Rimbaud ?
Les poètes maudits, quand on lit leurs biographies écrites par les Izambard soixanthuitardisés, et fulgureusement diplômés, on se demande si ceux de Charleville et d’ailleurs, ne se révéleraient pas dans la fusion d’un Sarkozy réussi et d’un Baader raté. Ils se toucheraient presque du doigt comme ce symbole sur la fresque du fameux plafond.
A quoi reconnaît-on le style ? A son habit, son col d’hermine… L’autre, pas un mot pour désigner honnêtement l’absence naturelle de style –l’astyle ? L’astylé donc, on le juge, il est dans le box des accusés, l’anarchiste –le vilain terroriste va!
Du mythe, du génie et de la postérité en littérature. (par monsieur de Mauvaise Foy) :
Ce sont des charognards patentés –qui ont obtenu un sceau du pouvoir, et qui plongent leurs becs empuantis dans les cercueils, les chairs putréfiées, les tas méconnaissables, les orbites remplies de gélatine, les os marouflés -les os mous d’électeur invétéré. Ils manipulent ces informités, les combinent, les agglomèrent, en tirent les présumés génies, les figures historiques officielles, celles qui ressemblent comme des fils à l’assujettissement en cours, aux parangons écoeurants qui se suivent…
Toi l’enfant sans collier, si tu cherches un exemple, il agonise sûrement dans une de ces prisons des républiques immondes. L’homme est en phase d’anéantissement, pris dans les sas de l’oubli programmé à travers la bouche des maîtres qui dit oui ou non selon les fils actionnés du gagne-pain qui les relient à leur indépendance.
Est-ce une calomnie inventée par les anciens trafiquants portugais ? Le dicton n’en affirme pas moins que les Japonais ont six visages et trois cœurs. Pour ce qui concerne les visages, rien là d’original; sous ce rapport, les hommes se ressemblent tous et tâchent justement de figurer à leur avantage. Restent les trois cœurs. Le premier se loge dans la bouche, aussi faux qu’une fausse dent, il n’hésite pas à se montrer au monde entier. Le second, bien en place dans la poitrine, on le réserve aux parents et aux intimes; on l’offre, parfois, comme le pélican, à ses petits. Le troisième reste caché on ne sait où. C’est le vrai cœur, que personne ne connaît; son secret échappe à soi-même.
Jacques Brault
Les hommes portent un nom mais ne sont plus personne. Leur âme se perd dans les fiches, les bureaux, les paperasses. Tant d’organes pour si peu d’infini. Le fric a tout mangé, la peau, le sens, le monde, les vertèbres du rêve. Notre tête n’est plus qu’une bombe à neurones attendant la fission. Les éventreurs d’émotions et les tueurs à gage ont pris toute la place. La farce devient drame. Prier pour de l’argent ou du travail, c’est déjà plier l’échine, mourir avant même de naître. La dureté de l’esprit s’accompagne de la faiblesse du cœur. Je préfère la peau du rêve au pansement du réel. On ne voit pas venir ce qui est devant soi. Je suis déjà passé de l’enfance à la bête et je voudrais passer de la vieillesse à l’ange. Je voyage avec larmes et bagages, un baluchon d’émois, un carnet d’espérance, une pomme à la main, une ombre qui s’évade loin des sentiers battus. Je ne suis pas un musicien de la Guilde ni un poète à rentes. Je ponds mes phrases dans les nids de poule, les hangars, les derniers terrains vagues. Où la ville se fait du cinéma, je m’écorche la peau aux ronces d’un sentier. C’est du cœur de la paume que je palpe le monde. Il suffit d’un vent, d’un souffle, d’un brin d’herbe, d’une plume d’oiseau tombée du nid. La première fois où j’ai touché la mer, c’est au milieu d’un livre. J’en porte encore le sel sur mes lèvres d’enfant.
Avant que l’homme écrive l’histoire du temps, le vent lisait la pierre sans craindre le mensonge. Je cache dans mes yeux les poussins de l’espoir. Je les réchauffe de mon souffle. Un feu couve sous la cendre. Le givre fond toujours sous la buée des mots et la neige protège les fragiles semences. On porte tous en soi ce qui donne la vie. Sur l’écorce des pins, le soleil fait reluire des gobelets de résine. Tout l’univers bascule. Les paradis perdus, les jardins à cloche-pied, les paysages traversés, les apparences transgressées me tiennent lieu d’espace biographique. Je vis ce que j’habite. La langue est mon pays. Avant d’écrire, il faut savoir marcher, faire des pieds et des mains, répudier le réel en souvenir d’un rêve. Au-delà du visage, bien au-delà des mots, du désir, des masques. Bien au-delà de soi, d’une vie mal plantée dans un décor de foire, des téléphones mobiles, des voyants électriques, des chats désertifiant les mots, je marche dans les sentiers perdus. Mendiant de l’azur, - c’est plus fort que moi -, j’écris, avec ma peau, mon ventre, ma chair, mes molles boursoufflures, mon cœur en dents de scie, mon âme que je ne connais pas, mes vertèbres d’argile, mon ossature de cristal. Écrire commence là, dans la claudication des mots, les doigts de l’eau le long du cou, le trou noir des naissances.
Je voudrais faire un poème
puissant
un poème de hurlement contre le cri
nu contre le dénuement
violent contre la violence
saccadé des dernières prostrations
sur une barque grillée de soleil
un poème d'esclave contre les nouveaux maîtres
et d'impuissance
contre toute nouvelle super puissance
de pauvreté contre la corruption
de gosse floué qui vieillit sans avenir
Un poème terrible
de peur de souffrance
et de soumission
qu'on écartèlerait
sur les murs et les barbelés de la honte
éventré comme un grabat ensanglanté
un poème insensible
comme une kalachnikov
et provoquant comme un paradis fiscal
un poème de désinformation
et d'abêtissement
de napalm et d'irradiation
contre tous les hypers religieux.
Un poème d'onguents et de baumes et de paroles
comme celles
murmurées à l'oreille des enfants
un poème humble
de grande dignité
qui manierait l'humour et le rire
et qui ne serait plus sur le qui-vive
clamant au vent comme une torchère
fou comme une danse de retrouvailles
et sans colère
Un jour je le ferai.
Francoise Coulmin