Jean-Pierre Duprey

Publié le par la freniere

Mort à vingt-neuf ans, Jean-Pierre Duprey, dont toute d'œuvre poétique a été rassemblée en trois volumes, a pourtant connu, dans une aussi courte période de création littéraire, des phases d'activité intense (l'essentiel de son œuvre écrite a été composé pendant les années 1948 et 1949) et des moments de silence à la mesure de son destin tragique.

Il est né à Rouen dans une famille bourgeoise. Il fait des études au lycée Corneille de cette ville. Mais il est mauvais élève et, à seize ans, il en est exclu. Dès l'âge de quinze ans, il commence d'écrire des poèmes. Il vient à Paris, découvre les livres de Rimbaud, de Lautréamont, de Jarry, le théâtre d'Artaud. Ses premiers poèmes sont publiés dans la revue En marge. Il rompt avec sa famille, se marie et s'installe définitivement à Paris en 1948.

Il écrit à ce moment Derrière son double, dont il envoie le manuscrit à La Dragonne, la librairie où se réunissait ce qui restait du groupe surréaliste dispersé par la guerre. André Breton est enthousiasmé et écrit une préface. Duprey écrit beaucoup. Il se mêle silencieusement aux réunions du groupe surréaliste. Derrière son double paraît en 1950 au Soleil noir. Une affiche de « prédiction », dont quelques exemplaires apparaîtront sur les murs de Paris en mai 1968, écrite avec Hérold, est le dernier texte de Duprey, qui s'enferme dans un silence de plusieurs années.

Silencieux comme Rimbaud, Duprey se tourne vers la sculpture, qui prolonge comme une ombre son œuvre poétique. Il écrit néanmoins Réincrudation et Les États réunis du métal aux chutes communes du feu ; mais ce sont des textes relatifs à la sculpture.

En 1959, en pleine guerre d'Algérie, Duprey urine sur la flamme du Soldat inconnu à l'Arc de triomphe. Il est arrêté, jugé, condamné. Après quelque temps en prison, il se retrouve enfermé dans un hôpital psychiatrique. De retour chez lui, il se remet à écrire, et compose La Fin et la manière, poèmes tragiques où percent une angoisse et un désespoir profonds. Il se pend à la poutre maîtresse de son atelier le 2 octobre 1959.

Son œuvre poétique, progressivement mise au jour, a exercé et continue d'exercer la plus vive fascination sur plusieurs générations de poètes.

 

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Bibliographie

 

Derrière son double, Le Soleil Noir, 1950

La Forêt sacrilège, Le Soleil Noir, 1964

La Fin et la manière, Le Soleil Noir, 1970

Œuvres complètes, annotée par François Di Dio, Bourgois, 1990 ; rééd. Poésie/Gallimard, 1998

Un bruit de baiser ferme le monde, poèmes inédits, Le Cherche-Midi, 2001.

 

 

 

La fée déguisée en feuillage, tout en elle sent la mer, lac et ressac. La mer ? d’une enjambée on la franchit. Après la lumière, l’onde est devenue verte. On ne discute pas avec les morts.
     Apportez la lumière ? Viennent trombes, pics, vals et chardons. Le dernier couac est celui du pendu. Hamlet, Hamlet, c’est moi (to be or not to be). Trombes, sacs, ressacs, carnages, espoirs tout nus.
     La mare est rouge et sue du sel.
     Je l’adore.
     Jadis elle se fit construire un palais dans la lande. Feux follets, lutins, nains dans la ville temple, dans la montagne chaude des bruits et la sarabande s’exténuent jusqu’au silence du coq.
     C’était au temps de la grande prêtresse Lune.

 

*

Un jour je dormirai du sommeil dont j’ai peur
Pour ne plus m’éveiller
Je descendrai au fond de ces temps oubliés
Où les sirènes pleurent.

Et les très longs voyages repliés dans ma tête
Seront chiffons de rêve
L’archange qui nous garde et sans nous ne s’élève
Sera l’ange de la fête

Puisse durer longtemps le phare du vaisseau
Qui nous porte sur terre
L’abri que se construisent les marins sous les flots
Me semble bien précaire

Allégés de leur poids ils sont bulles de verre
Portés par les anges
Un rêve qui les cogne claque comme une orange
Entre deux bras de mer.

 

*

J’ai dominé toute une station de vie
Ma première enfance est entrée dans la pierre
Mes premières larmes sont sorties avec les passereaux
J’ai vu un Dieu, j’ai vu les hommes
Et mes yeux ne se cherchent même plus
Hier je suis allé sur la montagne qu’habita la lune
Et je suis revenu le cœur plein de tristesse
Il ne me reste plus qu’un souvenir et une guitare brisée
Un saule pleureur se dépouille et m’habille de larmes
Qu’est-il de plus triste au monde que de partir sans chanter

 

*

Quatre murs sont aussi sourds qu'un critère
Et le cri est pouvoir à ceux qui se terrent.
Il est des toits comme une soie
Pour cacher un visage et des os ;
Dessus, le ciel mange ses oiseaux
Et chiffrera quand même zéro.

Une mémoire dans une tombe,
Un soir trouvera le poids
Qu'il fallait pour que le pont tombe
Et que la voix basse revienne
Au courant de la rivière
Qui boit les souffles et les mystères
Rêvés chaque nuit par le pêcheur de peines.

 

*

À l'intérieur de son caveau, l'Ogal a poussé ses mains comme des tiges. Ses ongles, retournés dans un creux de l'espace qui s'étend en creux, écorchent en lui le petit cœur rouillé jusqu'à l'odeur du sang.

La main s'étend par une blessure de la carcasse, la main à cinq langues fourchues, qui se fourchent, se fourchent, se fourchent, se fourchent...

Et c'est alors la vision du grand Brillant des flammes, hérissé de griffes et gestes durs... remontant, à force de tranchants, le cours d'un âge où bat, avec des décharges de lune noire, l'aile sifflante et perçante, l'aile, aux plumes-facettes, de l'oiseau-lame.

Et l'Oiseau-Noir relève la trace d'un grand incendie.
Le Passage-Noir garde les marques d'un oiseau de nuit.

C'est ici, disait une voix, c'est ici que j'apprends à défaire mon corps... J'ai déchiré mon corps, cette mâchoire autour d'un creux. Et mon geste, c'est l'espace cerné, le moule, en griffes radiées, réversible à l'image d'un gant de la nuit cloutée... Et je préfère m'ouvrir les mains.

Mes yeux se sont jetés partout, perçant le voir et le dormir.

Les fantômes, s'ils apparaissent, auront la couleur du vide de la demi-lune noyée sur le plan du métal.

Ce qui est rouge s'épaissira jusqu'à la consistance du noir.

Un soleil de demain, en sa chaleur de cruauté crispée, nous saisira DEMAIN, comme nous en reparlerons.

Adieu... et en meilleur forme... Comme les tombeaux se font vieux, si moi je rajeunis! Le Sombrefer, mon compagnon devenu fille par la grâce de la femelle d'acier et de la foudre de même sexe, le Sombrefer, mon éclaireur, aura des petits de ma mémoire.

 

*

Reposez-vous, mangeurs de choses,
Ou prenez-moi par une main qui dévore.
Au fond du jeu qui me suppose,
Se font, se défont les tissus du corps.

Reposez-moi, mangeurs de choses,
Entre les doigts défaits de la main bleue
Qui file, autour de la nuit qui m'expose,
Ses ongles, larmes séchées d'anges creux.

J'ai mémoire encore de poutrelles,
Au-dessus du lac qui saborde
Ses propres surfaces sous ses ailes;
Et puis les gestes prêtés à l'ordre

Et les gestes d'intervention
D'une muraille plantée de coudes
Qui ne jure l'absolution
Que pour cette partie de chair lourde

Pressée ailleurs ;
Alors qu'ailleurs encore
Ailleurs encore
Toutes mes parties de peur
Parties de peur
Tournent autour de la charrette des couleurs.

 

Jean-Pierre Duprey

Publié dans Les marcheurs de rêve

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