À Jacques Higelin

Publié le par la freniere

Il est parti ce morceau de ma jeunesse, cet arpenteur d'utopies, qui côtoyait la générosité et la folie du vouloir vivre, ce cœur trempé dans l'intense, ce roc tendre de mes sixties qui chantait la fraternité et savait dire la douleur et la folie comme personne, celui qui regardait la misère côté Abbé Pierre, côté rue, là où rien, pas même le gîte et la table sont une certitude, il est parti de ce siècle irréparé où l'utopie piétine encore dans une gare en grève.

Triste, ce siècle qui part avec ses rêves inachevés et cet espoir à ne pas oublier.

La transparence des êtres qu'on a aimés, sans même les connaître, mais dont on a perçu, dans le profond des cris, la désespérance, les rêves, ramène cet écho de leurs âmes aux couleurs du monde qu'ils voulaient construire,

... avec nous.

Ce soir a une odeur de pluie sans chagrin, certains êtres portent une lumière intemporelle et des rumeurs de chansons immortelles.

Ce soir un oiseau plane par-delà des jours. Les ailes d'un condor aztèque portent une mémoire teintée de l'or des grands soleils. Une voix et un regard, à l'inépuisable tendresse, s'attardent à ma table. Au cirque des "j'aime", Être ne connaît pas l'imparfait, rien de ce qui a été ne s'efface. L'invisible des sentiments n'est jamais en absence.

Ceux que j'aime résident au clair-obscur de ma conscience, dans un temps que je conjugue au futur-antérieur-présent et perpétuel.

Comme un regret concave, dans un verbe qui ne cherche plus sa rime, Jacques Higelin va dans ce vague à l'âme qui a trouvé sa rive. Ma tristesse n'est pas seule, il est là, comme un poème encore en écriture.

Ce soir, Jacques a emporté un carré de soie, une échappée de vie, une bouffée de lui. Je me souviens de Fontaine, Areski, l'Art Ensemble of Chicago… et des enfants qui pleurent…

Partis avant, partis après, les poètes ne meurent pas, mais tous nous y allons.

... Nous y allons.

 

Jean-Michel Sananès

 

Publié dans Jean-Michel Sananès

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