Le sentier

Publié le par la freniere

Les arbres se dissolvent dans la brume de l’aube. Le lac est recouvert d’une ouate rosâtre que le soleil dissipe. Les chenilles des skidoos laissent des cicatrices sur la neige, les lames des patineurs des arabesques sur la neige. Je suis l’un des seuls raquetteurs. Tantôt, j’irai marcher dans le sentier poétique. J’aurai l’air d’un nain dans une forêt d’arbres géants, d’un gnome parmi les fées sous ma capine de laine. Sans charpentier ni maçon, je me fais une maison. Il me suffit des mots et de l’image des mots. Je n’ai jamais appris ma table de multiplication. Je préférais déjà la table des matières. A la petite école, je comptais sur mes doigts. Aujourd’hui je compte sur mon loup, la lune, le soleil. Je me fie à l’intelligence des arbres. Il suffit de fermer les yeux pour voir plus loin, d’écrire quelques mots pour toucher à la vie, de combler les trous de mémoire pour voyager dans le temps. Il suffit de rêver pour agrandir le réel.

Une main dans une autre main, c’est comme une aile sur l’épaule, un gond sur une porte. La porte s’ouvre d’un coup d’aile. La vie, c’est plus qu’un bouchon sur l’eau. C’est un sillon, une cicatrice dans la terre, une âme dans la chair. Ce sont des mots qu’on serre dans sa bouche. C’est l’audace des mains et le courage des gestes. C’est le portage des images, le partage des phrases. Il fut un temps où les bêtes et les hommes vivaient en harmonie. Aujourd’hui trop d’insectes disparaissent. Trop d’animaux sont en voie de disparition. Les plantes et les hêtres s’étiolent. Des nœuds se forment dans les êtres, se nouent et se dénouent. Le sang coule à côté des blessures.

Je traverse en raquettes le sentier poétique. Il commence dans la cour de l’ancien hôpital et continue dans le bois. On ne sait pas s’il s’arrêtera un jour. Des bénévoles l’ont conçu pour soigner les cicatrices d’éoliennes et rendre hommage à Georgette Bouliane, des Sœurs de la Charité. Il poursuit son jardin, son œuvre, son héritage. En été, le sentier serpente dans les fougères et les ajoncs. L’hiver, il s’habille de neige et de grésil. Une chienne noire nommée Bella y dévore les bonhommes de neige. Peut-être est-elle jalouse. Tout l’espace du monde est à portée de la main. Un seul pas mène plus loin que le bout de la route. Je m’arrête à chaque plaque où l’on présente un poète. On a gravé dans le temps des bribes de poèmes. Entouré de collines, d’un lac et de ruisseaux, je continue à lire dans les mots invisibles, les traces de belettes, de cerfs et de lièvres, les voyelles du vent, le texte de la faune et celui de la flore. C’est comme une graine qui lève dans l’humus des yeux, la fleur d’un regard, la tige d’une image.

 

Jean-Marc La Frenière

 

 

 

 

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