Privés de fleurs

Publié le par la freniere

Les geais bleus visitent les cédrières. Les tamis se chamaillent sur les branches, sautant d’un arbre à l’autre. Les vers de terre mâchouillent de l’humus. Les nuages voilent et dévoilent le jaune du soleil, le bleu du ciel, le vert des forêts, les ombres de la nuit. L’automne est si long que toutes les feuilles tombent. Les vieux vergers aux bras tordus ne consolent pas leurs fruits. Pourquoi détruire un monde si beau? Pourquoi manger les pissenlits par la racine? Pourquoi voir la vie comme un abcès, parler aux choses comme un absent? Pourquoi l’enfant veut-il vieillir? Pourquoi la voix veut-elle se taire? Pourquoi la vie? Pourquoi la mort? Pourquoi les hommes sans amour? Pourquoi les enfants sans pain qui errent dans les villes? Le temps des cèpes et des russules est à la merci du bitume. Le monde n’a plus le temps d’aimer. Les enfants de demain s’ils survivent à la guerre seront privés de fleurs et de sentiers moussus. Ils pleurent déjà de rage. Leur colère a remplacé le chagrin. Je n’ai plus peur des rendez-vous de sorcières ni de la nuit hantée par les fantômes, j’ai peur du jour peuplé d’adultes.

Sur le pré de l’enfance, j’ai poussé comme une mauvaise herbe, une fleur sauvage, une renoncule frissonnante. Je me relie aux chiens, aux chats, aux chênes. Quand le soleil se couche, on marche dans le noir, on titube, on cherche la poignée de porte. Toutes les cages finissent par s’ouvrir. L’escalier qui monte est le même qui descend. Les jours de pluie, je m’assied sur un banc de brouillard, ma calotte de marin vissée sur ma cervelle. Le monde est grand. Il y a tant de choses à dire, mais je manque de mots. Il y a des trous dans l’alphabet, des couleurs qui s’effacent. Je dors d’un seul œil comme le regard d’un chat. Il guette le passage d’un oiseau, les souris qui dansent quand trépasse le jour. J’ai perdu mon temps, mais je n’ai rien trouvé, à part quelques dents cassées à mordre dans le vide, quelques feuilles d’automne, quelques pas échappés par un trou dans les bas, un semblant de caresse dans la foule des gestes. L’empathie transforme la douleur en lumière, le malheur en quête de bonheur et la mort en amour.

 

Jean-Marc La Frenière

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