Paroles indiennes

Publié le par la freniere

Le sens du mot «sauvage»
 

À l’égard des Indiens, nous éprouvions nos préjugés et nos bonnes intentions. Cela vaut-il mieux que l’indifférence ? J’examine avec attention la moindre chose. Je reconnais la beauté. Toutes sortes de beautés et singulièrement, celle du langage. Nous avons deviné un système aussi perfectionné que le nôtre, infiniment plus poétique et peut-être plus humain. Un système qui n’a pas besoin d’implorer le latin et le grec pour inventer des mots nouveaux. L’hélicoptère est une libellule et le magnétophone, un perroquet. Les Blancs sont mistoucouchou, c’est-â-dire ceux qui ont des canots de bois, ce qui décrit bien leur avance technologique. S’ils nous abordaient aujourd’hui, nous serions ceux qui possèdent des fermetures éclair ou ceux qui marchent sur la neige avec des chiens à skis. Nous les nommons encore Indiens, aux antipodes des Indes, ou sauvages ce qui n’était pas sans beauté. Mais nous savons mal aimer. Et nous avons détérioré ce mot, nous l’avons détourné de son sens, par mépris. Je suis une maudite sauvagesse, écrit madame André de Schefferville, sans savoir que ce mot veut dire «habitant des forêts» : ce qu’ils rêvent de redevenir.

Nous n’avons pas respecté le mot «sauvage» et nous n’avons pas non plus respecté leur langage par lequel ce pays était infiniment mieux nommé que par tous nos saints de plâtre et par tous les rois et reins Charlotte de la terre Angle. Mais ce qui était méprisé par cette démarche, ce n’était pas le sauvage mais le commun. Et les noms de saints et les noms de rois excluaient la poésie du peuple, qu’il soit sauvage ou habitant, indien ou québécois.

Mais avons-nous le droit de maintenir un peuple dans un isolat linguistique pour la satisfaction de préserver un patrimoine ?

Je reconnais également la merveille de leur nomadisme dans un pays hostile, et leur légèreté, leur âme d’écorce, l’arme courbe du couteau, le sable qui sert de four à pain. Mais peut-on les renvoyer à la chasse fondamentale et leur arracher le goût des miroirs de toutes sortes que nous leur avons enseigné, pour qu’ils ressemblent à leur père : est-ce là un bonheur ?

Pierre Perreault

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