À ma mère (France)

Publié le par la freniere

Elle n'est pas cicatrisée, cette déchirure, il faudra attendre encore, jusqu'à la fin peut-être. Tous acquiescent devant ce tableau cent fois trop grand de la mère qui sera toujours ce qu'elle est à présent. Autrefois, quand elle était petite, on l'avait remplie à ras bord. Eclipsé le père absent, étirée l'enfance, à rallonge, on s'en était chargé, non sans regret, jusqu'à l'éternité. Et l'urgence du manque à rayer qui se perpétue, sa fille la fait sienne puis apprend à rayer, elle aussi, certaines certitudes. Et d'autres l'agrippent, quand le sommeil s'invite, c'est qu'elle ne tient plus debout. "Aucun tableau de moi ne fera jamais baver personne", c'est ce qu'elle pensait, ma mère, le temps ferait l'affaire, l'attente, se vautrer de nombreuses fois encore dans l'attente, son attention, charmant tableau.
Je ne sais pas sa lutte, sa solitude, sa souffrance, je sais juste l'escalier qui s'apprête, le soir, dans la maison sans soleil de mes grands parents et la pesanteur au fil des marches et les soirées en tête à tête, à deux, à trois les jours de fête, et l'enfance qui s'envole, promesse éteinte, l'enfance qu'elle m'a offerte et que je serre en moi et qui me porte, l'abri insaisissable qu'elle m'a construit, les larmes cachées de ma mère.

 
Caroline Cranskens

http://nosepuedevivirsinamar.over-blog.com

 

Publié dans Poésie du monde

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